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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/525

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LA SCIENCE DES MŒURS
REMPLACERA-T-ELLE LA MORALE ?

Comme il y a un « matérialisme économique et historique, » au sens de Marx, de même il y a ce qu’on pourrait appeler un matérialisme éthique, pour lequel la « matière » extérieure de la morale est tout, sous la forme des faits sociaux donnés : mœurs, croyances, coutumes, institutions, lois, sanctions légales, etc. Ce système n’est autre chose, dans le fond, que la suppression même de la science morale au profit de la sociologie théorique et appliquée. Une telle suppression est-elle possible ? La morale doit-elle céder progressivement la place à la physique sociale des mœurs ? C’est ce que soutiennent, dans de récens travaux, MM. Durkheim, Lévy-Bruhl et Albert Bayet en France[1] ; c’est aussi ce qu’a soutenu M. Simmel, après Nietzsche, en Allemagne.

Nul n’estime plus haut que moi les savans travaux de M. Durkheim et de ses collaborateurs de l’Année sociologique, précieux recueil où vient se résumer un énorme travail de lectures et de recherches. Nul n’apprécie plus que moi le dernier livre de M. Lévy-Bruhl, où il adopte, après un consciencieux examen, les idées et la méthode de M. Durkheim. Mais ce qui est en question ici, ce n’est pas la science sociale, où excellent

  1. Voyez Durkheim, la Division du travail social, Paris, Alcan ; le Suicide, étude sociologique (id.) ; Règles de la méthode sociologique (id.) ; l’Année sociologique, années 1896 à 1905 (la dernière année vient de paraître) ; Lévy-Bruhl ; la Morale et la science des mœurs, Paris, Alcan, 1903 ; Albert Bayet, la Morale scientifique, Paris, Alcan, 1905. Cf. Bougie, les Idées égalitaires. Paris, Alcan, 1900 et René Worms, Philosophie des sciences sociales, t. I et II, Paris, Giard, 1904, 1905 ; Annales de l’Institut international de sociologie, 1903, 1904.