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Ferry lui avait confié la garde, était alors le serviteur de l’idée de patrie ; et c’est enfin parce qu’à cette date, ce que M. Buisson, parlant en fonctionnaire, disait de l’esprit patriotique, la plupart des hommes du parti républicain le disaient à leur tour, comme députés et comme ministres.

On eût, en 1867, étonné Garnier-Pagès, et l’on eût étonné Jules Simon, en leur parlant d’un mariage possible, et même indissoluble, entre l’esprit militaire et l’esprit républicain ; et c’était, tout au contraire, par des discours formellement antimilitaristes, que la gauche du Corps législatif combattait le projet du maréchal Niel, dont le vote aurait peut-être changé les destinées de nos armes. Pareillement, en observant les actes anti-militaristes de nos derniers parlemens et de nos derniers ministères, c’est plutôt au divorce de l’esprit militaire et de l’esprit républicain que l’on serait tenté de conclure. Mais, à l’heure où furent discutées les lois scolaires et dans les premières années de leur application, les hommes de gauche, par une résipiscence expresse et sincère dont Jules Ferry faisait noblement l’aveu[1], professaient effectivement que c’était l’honneur de la République d’aspirer à une armée forte et d’avoir des écoles qui fussent, avant tout, le vestibule de la caserne.

Aujourd’hui que le patriotisme des instituteurs et le droit qu’ils ont, si bon leur semble, d’être sans patriotisme ou même d’être hostiles au patriotisme, donnent lieu à des débats passionnés ; aujourd’hui que ces débats mettent aux prises les deux hommes mêmes qui soutinrent devant le Parlement la loi scolaire de 1886, M. René Goblet et M. Ferdinand Buisson, il ne nous paraît pas sans intérêt de rechercher, avec cette sérénité que l’histoire comporte, ce que voulait être, et ce qu’était, et ce qu’a cessé d’être, un point de vue spécial de la formation patriotique, l’enseignement primaire de la troisième République. Puis, après cette évocation de notre propre passé, nous épierons l’état présent de l’esprit scolaire, hors de France : çà et là dans le monde, dans l’Allemagne toute proche, — toute proche, puisqu’elle est chez nous, — dans le Japon qui cesse d’être lointain, en Angleterre, en Amérique, nous regarderons ce qu’est l’école

  1. Le livre de M. Alfred Rambaud : Jules Ferry (Paris, Plon), doit être à cet égard consulté, médité, et lu même entre les lignes. — Qu’il nous soit permis de renvoyer, aussi, à notre livre : l’idée de patrie et l’humanitarisme, 3e édition (Paris, Perrin).