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maître d’appliquer. Ces premiers mois de règne le révèlent, il faut le dire, singulièrement brouillon ; cependant je ne puis voir, comme M. Allard, dans cette activité, si pleine de confusion qu’elle ait été, le signe d’une révolution intérieure, d’un affaiblissement du sens pratique ou d’un obscurcissement de l’intelligence. Dans la neutralité forcée du César, ou dans l’ardeur passionnée de l’Auguste, Julien me paraît toujours semblable à lui-même ; mais, les données de sa vie ayant changé, ce qui était latent devient actif ; de l’action naîtra ensuite le conflit et le déséquilibre apparent. Nous passerons rapidement sur les représailles que, par le moyen d’un tribunal extraordinaire réuni à Chalcédoine, il exerça contre quelques-uns des conseillers trop zélés de Constance ; trois ou quatre exils, deux condamnations à mort, si l’on est tenté de les reprocher à un empereur philosophe, compteraient à peine pour un prince qui n’eût pas été occupé dans le même temps à écrire le Dialogue des Césars et l’Epitre à Thémistius sur les devoirs de la royauté, à poursuivre par la plume l’idéal le plus haut de magnanimité et de justice ; Alexandre et Marc-Aurèle sont les héros qu’il se propose dans ces deux traités ; l’un lui représente le type du courage, l’autre celui de la vertu parfaite ; l’un et l’autre sont surtout pour lui deux formes de l’absolu, et lorsque Julien n’a à répondre de lui-même qu’à lui-même, c’est toujours à l’absolu qu’il va ; la réalité vivante lui échappe, sa pensée court aux essences, et, sans souci d’améliorer le concret, il ne se préoccupe que d’une réalisation supérieure, hors du contingent, hors du possible, presque hors de la vie. Ce défaut apparaît aussi bien dans ses premiers essais de réforme, lorsqu’il s’efforce de plier à ses rêves, et de mettre d’un seul coup à leur point de perfection les différentes administrations de son empire que dans les écrits tracés au cours de ses nuits fiévreuses d’espoir et de projets : « Nous devons, lui avait dit Platon dans le Livre des Lois, confier à la partie immortelle de notre être le gouvernement des familles et des États, en donnant le nom de lois aux préceptes émanés de la raison. » Julien va plus loin encore ; c’est à un être immuable, à l’homme en soi, qu’il veut appliquer la loi en soi, la loi immuable : « Nous ne devons gouverner et légiférer ni pour les citoyens, ni pour les contemporains, ni pour les parens et pour les voisins, c’est-à-dire pour un peuple et pour une époque, mais pour la postérité, pour des étrangers, pour des inconnus, c’est-à-dire pour l’homme