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de Julien, restaurant le paganisme, n’y eurent pas beaucoup plus d’effet que les ordonnances qui l’avaient proscrit : un bloc si formidable et si bien scellé de croyances, de conventions et d’usages ne se désagrégeait pas, et ne se reconstituait pas non plus au gré des empereurs : il y fallait plus de temps, et surtout la force des événemens.

Les historiens, tant chrétiens que païens, nous disent la rapidité avec laquelle les temples s’ouvrirent de nouveau en Grèce et en Asie, et se remplirent de leur population sacrée : prêtres, sacrificateurs, hiérophantes, mystes, flamines, nécocores, depuis longtemps muets et oisifs. « Partout, écrit Libanius, partout des autels et du sang ; partout l’odeur de la fumée et des sacrifices ; sur les sommets des montagnes retentissent les trompettes sacrées, les bœufs servent à la fois au culte des dieux et à la nourriture des hommes. »

La science augurale refleurit ; les devins qui venaient d’être l’objet d’une proscription terrible interprétèrent de nouveau les songes et signes de la nature. Il n’y eut que les grands oracles helléniques dont Julien eut quelque peine à réveiller la voix : « Allez dire ceci au Roi, lui répondit la Pythie de Delphes, ma maison avec ses décors est tombée par terre ; Phébus n’a plus de grotte, plus de laurier prophétique, plus de source parlante. » La grande inspiration était bien tarie ; un long découragement avait fait taire les improvisations poétiques et glacé l’extase. Le personnel sacerdotal dont disposait Julien était de tout second ordre ; lorsqu’il fallut le compléter, car il s’y était produit de nombreux vides depuis tant d’années, des élémens plus que douteux s’y mêlèrent. Julien comme tous les apôtres n’avait pas de scrupules excessifs, et s’illusionnait volontiers sur la valeur sociale et morale de ses adeptes. Saint Jean Chrysostome par le des mages, des faiseurs de prestiges, des devins, des haruspices, des métagyres qui étaient accourus de tous les coins du monde dans le palais de Constantinople ; une cour étrange se formait de ces gens autrefois infâmes et fugitifs ; saint Grégoire de Nazianze rappelle un festin rituel auquel Julien aurait pris part avec des courtisanes. Un peu plus tard, lorsqu’il aura passé en Asie, nous le verrons célébrer les cultes impurs de Cybèle et d’Attis, de la déesse syrienne, de la Bellone de Comane, de la Majuma d’Antioche, se faire suivre de leurs prêtres eunuques, de leurs hiérodules, de leurs mignons, de leurs cortèges de danseurs,