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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/655

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qui nous sont parvenus, constitue une de ces attaques que les religions et les philosophies ne pardonnent pas. Mais, ce qui lui attira surtout la haine des chrétiens clairvoyans, c’est l’humiliation qu’il infligea à l’Église et la réalité du danger qu’il lui fit courir au moment où elle venait de triompher, et où, chacun ayant mis sa religion au grand jour, elle se glorifiait de compter des millions et des millions de fidèles. Tant que cette multitude n’avait été soumise à aucune épreuve, elle pouvait se flatter d’être la race des confesseurs et des martyrs, la récolte surabondante sortie d’une semence si généreuse. Il fallut bien se rendre compte, par la facilité avec laquelle Julien obtint, dans son entourage d’abord, et ensuite parmi les fonctionnaires de son armée et de son administration des conversions païennes, que cette foule était de moyenne qualité morale, et rentrait dans les conditions générales de l’infirmité et de la faiblesse humaines. Les temps héroïques n’étaient plus. Les miracles d’énergie qui s’étaient accomplis dans une petite secte concentrée, secrète, composée d’âmes ardentes, qui avaient choisi elles-mêmes leur foi, ne pouvaient se renouveler en masse ; il y eut de nobles résistances, mais les chutes furent nombreuses. Sous Constantin et sous ses fils, les conversions au christianisme avaient été déterminées, dans l’armée surtout, par une sorte de loyalisme bien plus que par une conviction profonde.

Lorsque Julien eut mis ses officiers et ses soldats en demeure de sacrifier ou de démissionner, il ne rencontra pas moins de docilité que ses prédécesseurs chez des hommes grossiers d’intelligence et de mœurs, esclaves des circonstances et de la volonté du prince. Auprès des fonctionnaires civils, il fallut raffiner un peu ; les tâtonnemens, les moyens obliques, étaient du goût de Julien et amusaient son esprit ; le moment décisif était hâté d’ailleurs par des promesses, l’octroi d’une charge : « Et l’on voyait, ajoute Libanius, triomphant à ces souvenirs, ceux qui avaient d’abord opposé un refus aux avances de Julien conduire eux aussi le chœur autour de l’autel des dieux. »

De telles défections avaient plus d’éclat que de réelle valeur, et si le christianisme n’avait eu comme aux premiers siècles qu’une vie morale et religieuse, le mal de cette épuration eût été médiocre. Mais, de fait, c’était un grand corps en train de s’organiser socialement que Julien s’efforçait de disloquer ; il outrageait irrémédiablement les consciences, et en même temps il