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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/663

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précieuses. Toute cette admirable Passion de Bourges égale la sérénité de l’art grec. On dirait les métopes mutilées d’un temple.

Jamais l’art n’a mieux exprimé qu’au xiiie siècle l’essence du christianisme. Aucun docteur n’a dit plus clairement que les sculpteurs de Chartres, de Paris, d’Amiens, de Bourges, de Reims, que le secret de l’Évangile et son dernier mot, c’était la charité, l’amour.

Au xve siècle, il y a longtemps que ce reflet du ciel s’est éteint. La plupart des œuvres qui nous restent de cette époque sont sombres et tragiques. L’art ne nous offre plus que l’image de la douleur et de la mort. Jésus n’enseigne plus, il souffre : ou plutôt il semble nous proposer ses plaies et son sang comme l’enseignement suprême. Ce que nous allons rencontrer désormais, c’est Jésus nu, sanglant, couronné d’épines, ce sont les instrumens de sa Passion, c’est son cadavre étendu sur les genoux de sa mère ; ou bien, dans une chapelle obscure, nous apercevrons deux hommes qui le mettent au tombeau, pendant que des femmes s’efforcent de retenir leurs larmes.

Il semble que désormais le mot mystérieux, le mot qui contient le secret du christianisme ne soit plus « aimer, » mais « souffrir. »

Le sujet favori de l’âge où nous allons entrer est donc la Passion. Le haut moyen âge n’a guère représenté que le Christ triomphant, le xiiie siècle a trouvé dans le type du Christ enseignant son chef-d’œuvre, le xve siècle n’a voulu voir en son Dieu que l’homme de douleur. Le christianisme se présente désormais sous son aspect pathétique. Assurément la Passion n’a jamais cessé d’en être le centre ; mais auparavant la mort de Jésus-Christ était un dogme qui s’adressait à l’intelligence : maintenant, c’est une image émouvante qui parle au cœur.

Il est certain que les Mystères, qui mettaient sans cesse sous les yeux de la foule les souffrances et la mort de Jésus-Christ, contribuèrent à familiariser les artistes avec ces images de tristesse et de deuil. Nous avons dit ailleurs tout ce que l’iconographie de la Passion doit au théâtre[1]. Mais une semblable explication serait très insuffisante. Car, ce goût des Mystères, d’où vient-il lui-même ? Comment se fait-il qu’au xive siècle, les

  1. Gazette des Beaux-Arts, 1904.