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patriotisme avec quelque emphase, déclarait en 1885 M. Ernest Lavisse ; mais cela ne vaut-il pas mieux que de le dire tout bas, avec une hésitation de la langue, comme si l’on voulait se faire pardonner cette hardiesse à offenser le bon goût ? » Nulle phrase ne résume mieux l’état d’esprit de l’époque, les hautes inspirations qui dominaient alors la conscience nationale, la sage et virile pratique par laquelle on l’exerçait. L’affaire Schnaebelé pouvait survenir ; les gouvernans de la France n’avaient point à se demander si la France était moralement prête…


>V

C’est à cette préparation morale de la nation que s’applique l’école primaire, de nos jours et sous nos yeux, dans les pays qui veulent grandir ou simplement se maintenir. Sans prendre la peine, en général, d’inscrire nettement l’instruction civique parmi les matières obligatoires du programme, les nations étrangères conçoivent l’enseignement tout entier, à ses divers stades et dans ses divers objets, comme une sorte d’œuvre sculpturale destinée à modeler dans l’âme de l’enfant cet esprit qui sait, aux heures graves, dompter et faire taire l’amour même de la vie.

« O ma patrie ! je te jure un amour fidèle jusqu’au tombeau : je te dois tout : ce que j’ai, ce que je suis : » voilà l’un des premiers exercices de chant qu’exécutent, dans les « jardins d’enfans, » garçons et fillettes de l’Allemagne. Trois ou quatre fois par semaine, à l’école primaire, une classe est consacrée à la patrie : on y donne à l’écolier des idées plutôt que des connaissances, des impressions plutôt que des idées, et des images, enfin, plutôt encore que des impressions : ce n’est ni une classe d’histoire ni une classe de géographie ; et pourtant c’est tout cela avec-quelque chose de plus. Pour désigner cet enseignement, l’Allemand possède un mot spécial : Heimatkunde, que volontiers nous traduirions « message de la terre natale. » La terre allemande prend un langage pour le bambin d’outre-Rhin ; des profondeurs de l’histoire allemande, d’illustres morts, aussi, sortent pour lui parler ; il a pour premiers maîtres le sol et le passé ; ce sont des voix sourdes, confuses et murmurantes ; mais l’instituteur est là, pour montrer la grandeur des Hohenzollern comme l’expression de ce sol, comme le couronnement de ce passé, et pour dégager le sens de l’auguste frémissement de la terre et