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puisqu’elle se recrute parmi des gens réfractaires à l’idée de patrie, indifférens à la forme du gouvernement qui les régit et, par conséquent, n’ayant aucune raison d’être prêts à s’immoler pour la défense de l’un ou de l’autre ? Ce magnifique appareil militaire, entretenu à grands frais, a pour but de faire croire que l’empire de l’Inde serait capable de résister à une invasion. Heureusement pour lui, la nature lui a donné une protection plus efficace que cet appareil simili-guerrier, l’Himalaya.

Les troupes indo-européennes sont, comme au temps de l’East Indian Company, divisées en trois corps que commande un généralissime, lequel est aussi chef de l’armée du Nord. Tous les officiers de l’armée active appartiennent à l’Indian Staff Corps, état-major très fermé, accessible seulement à des candidats ayant subi des examens fort sévères et justifié de la parfaite connaissance de plusieurs langues indigènes (sanscrit, hindoustani, bengali, tamoul, etc.). Chaque grande circonscription militaire possède son Staff Corps particulier, car on tient à ce que les officiers acquièrent, en résidant continuellement dans la même région, une expérience approfondie des usages, des préjugés, de la mentalité des peuples auxquels Ils ont affaire, ainsi que de la limite souvent bien compliquée, de leurs castes[1]. Cela est fort judicieusement imaginé.

Pour la plupart, les membres de cet état-major font leur carrière tout entière dans l’Inde, car ils y jouissent d’avantages très considérables et de soldes très élevées ; nombre d’entre eux y prennent ensuite leur retraite. Des villes se sont fondées, de gracieuses et charmantes villes, soit au pied de l’Himalaya, soit dans les admirables montagnes des Nilghiris, où la presque-totalité des cottages a pour propriétaires des généraux, des colonels, des majors en retraite. Ils y mènent une existence très douce, au milieu d’une végétation luxuriante, sous un climat enchanteur, parmi les plus belles fleurs du monde. Ces vétérans profitent là-bas des charmes d’un large confort auquel, depuis trente ou quarante ans, ils sont habitués et qu’ils ne pourraient pas conserver en Angleterre. Qu’iraient-ils faire, d’ailleurs, sur les bords, de la brumeuse Tamise, où ils n’ont plus guère de famille ni de relations ?

  1. Dans son Compendium of the Castes and Tribes of India, M. Kitts cite 1 920 castes différentes. M. Sherring, dans son ouvrage intitulé : Hinder Tribes and Castes, n’en nomme que 1 800.