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ne pouvaient pas être mis en cause. Il y a là quelque chose qui pour nous est sacré, et, pour les autres, intangible. Après soixante-quinze ans de luttes, d’efforts, de travaux politiques et militaires, nous sommes arrivés à établir, sinon toujours la tranquillité, au moins la sécurité de notre frontière. La France se révolterait si la politique nouvelle qu’on veut inaugurer au Maroc avait pour conséquence d’affaiblir en quoi que ce fût les résultats d’une œuvre où elle a dépensé sans compter son sang et son argent. Est-ce qu’on ne lui doit rien ? N’est-ce pas elle qui, au prix des plus grands sacrifices, a introduit la civilisation européenne dans le Nord de l’Afrique et a détruit à Alger le nid de pirates qui infestaient la Méditerranée ? Ce sont là des titres à une situation spéciale. Au surplus, nous l’avons dit, la question était réglée, et il n’y avait pas à revenir, fût-ce sous prétexte de donner à nos droits une consécration nouvelle et d’en mieux assurer l’exercice par un mandat dont nous n’avons nul besoin. Tout ce qui se passe sur la frontière algérienne, soit pour la protéger contre les incursions des Marocains nomades, soit pour la fermer à la contrebande de guerre, est notre affaire exclusive. Nous n’agissons d’ailleurs et nous ne continuerons d’agir que de concert avec le Sultan, et dans son intérêt aussi bien que dans le nôtre. Les puissances, quelles qu’elles soient, qui s’intéressent au Maroc ne pourraient se plaindre de notre action que si elle sortait des limites où elle s’est toujours enfermée, et se proposait autre chose qu’un but de police. Le jour où nous aurions manqué aux principes que nous avons posés de concert avec l’Allemagne et qui servent de garantie à la souveraineté du Sultan et à l’intégrité de son empire, on serait en droit de nous demander des explications : jusque-là, non.

Il semble bien cependant qu’on l’ait fait ou qu’on ait tenté de le faire, en quelque sorte au préalable. Ce sont là des discussions auxquelles nous ne pouvons même pas nous prêter. Tout ce que nous pouvons, c’est de mettre officieusement et amicalement l’Allemagne, si elle le désire, au courant de ce que nous faisons sur une frontière qui, à beaucoup d’égards, ou sur beaucoup de points, n’en est pas une, qui ne ressemble à aucune autre, qui est inévitablement un peu flottante et ne peut être protégée que par des moyens particuliers ; et l’Allemagne a trop de bon sens pour ne pas être frappée de ces considérations. Elle l’a été sans doute au cours des négociations ; mais alors elle a paru croire que, si on nous faisait des concessions sur ce point, nous devions en faire sur d’autres. On ne nous a fait aucune concession sur la frontière : nous y avons invoqué un droit