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Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/782

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le Conservateur. Des Genevois coopèrent à sa rédaction. On m’a montré le premier cahier ; c’est un recueil d’absurdes calomnies et de plates injures. Je doute que cette entreprise ait du succès, malgré l’esprit de parti qui semblerait devoir la favoriser. Mais il y a dans ce journal une telle absence de talent que l’ennui seul en fera justice. M. le comte de Senfft a eu la bonté de me remettre la table du volume de M. de Haller[1] qui traite des souverainetés ecclésiastiques. Ce sera sûrement un ouvrage précieux, mais que M. de Haller, vraiment catholique, aurait, je crois, mieux fait encore. Pietas ad omnia utilis est. La piété, dont la foi est le fondement, donne de grandes lumières. Je fais peu de cas de tout ce qui n’est qu’une spéculation de l’esprit. Cela ne va jamais bien loin dans la vérité, et ne produit aucun effet durable. Cependant, des livres tels que sont ceux de M. de Haller entrent certainement dans des desseins de miséricorde de la part de Dieu. Ils préparent les voies, attiédissent les haines, atténuent les préjugés, et c’est beaucoup. La Providence achève quand il en est temps. Les troubles d’Angleterre pourront hâter l’émancipation des catholiques. On voudra assurer par cette mesure la tranquillité de l’Irlande, si pourtant l’on ne craint pas trop d’irriter le fanatisme des Anglais. Je vous serai extrêmement obligé de m’instruire de ce qui pourra se passer d’intéressant à Genève. La haine de la religion catholique y

  1. Charles-Louis de Haller, né à Berne en 1768, d’une des premières familles de l’aristocratie bernoise, mort en 1854, était le petit-fils d’Albert de Haller, auteur de nombreux ouvrages scientifiques et littéraires qui lui avaient valu une réputation méritée. « Les derniers momens de cet aïeul, écrivait son petit-fils à M. Vuarin, le 5 mars 1821, avaient été troublés par le Joute et de cruelles inquiétudes, malgré sa belle âme, sa sainte vie et son humilité profondément religieuse. » Charles-Louis de Haller se convertit au catholicisme en 1821 : son abjuration fit grand bruit. Il était en relations avec M. Vuarin dès 1819, et l’influence du curé de Genève, celle aussi de Lamennais, Joseph de Maistre et Bonald, avec lesquels M. Vuarin le mit en rapports, paraissent bien n’avoir pas été étrangères à sa conversion. Il a écrit, entre autres ouvrages, un livre intitulé : Restauration de la Société politique, ou Théorie de l’état social naturel opposée à la fiction d’un état civil factice, dont le premier volume (en allemand) a paru en 1816. Au témoignage des biographes de l’abbé Vuarin (t. II, p. 422), c’est le curé de Genève qui l’a traduit en français (3 vol. in-8o, Lyon et Paris, 1824). C’est de cet ouvrage dont le seul titre rappelle déjà la Théorie du pouvoir, de Bonald, qu’il est ici question. Dans une des lettres de Bonald à M. Vuarin qu’a publiées M. Rouziès, on lit ceci : « Connaissez-vous M. de Haller, de Berne ? Il est des nôtres, au moins en politique, et vient de faire un ouvrage allemand dont je le remercie. La ligue des bons esprits de tous les pays est plus nécessaire que jamais. » Cf. du même la lettre à Joseph de Maistre, sous la date du 10 juillet 1819. — Voyez, sur Haller, Raemi de Bertigny, Notice sur la vie et les écrits de Charles-Louis de Haller (Fribourg, 1854).