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la Convention de Londres (15 juillet 1840) dont l’article 4 pose, comme un principe du droit international européen, la fermeture des détroits ; en haine de Louis-Philippe, le tsar Nicolas Ier lui-même met sa signature au bas d’un acte qui détruit l’ouvrage d’Unkiar-Skélessi, mais dont la France est exclue. L’année suivante, Guizot fait rentrer la France dans le concert européen, et la Convention de Londres devient la Convention des Détroits (13 juillet 1841). Le Sultan y déclare qu’il est résolu à maintenir, tant qu’il se trouvera en paix, le principe de la fermeture des détroits, et les puissances y constatent « leur détermination unanime de se conformer à l’ancienne règle de l’Empire ottoman » et de respecter la clôture. L’engagement de 1809 et celui de 1833 étaient contractés par la Turquie vis-à-vis d’une seule puissance, l’Angleterre ou la Russie ; celui de 1841 est un contrat collectif, qui engage le Sultan envers toutes les parties contractantes et celles-ci les unes envers les autres. Nous verrons comment le caractère de contrat collectif a été contesté plus tard ; il convient de rappeler dès maintenant que Palmerston s’était refusé à l’insertion, dans l’acte général, d’une clause concernant l’intégrité et l’indépendance de la Turquie ; seul le préambule constatait que les puissances avaient voulu attester leur accord en donnant au Sultan « une preuve manifeste du respect qu’elles portent à l’inviolabilité de ses droits souverains. » Ces droits souverains étaient cependant, en fait, limités sur un point essentiel ; dans la forme, la fermeture des détroits paraît être le résultat d’une détermination libre du Sultan ; mais si le Sultan était libre de fermer de sa propre initiative les détroits, il serait libre de les ouvrir, et pourtant la convention, en lui concédant le droit de les ouvrir à un nombre déterminé de « bâtimens légers, » lui dénie, par le fait même, celui de laisser passer toute autre force navale. Si, d’autre part, le Sultan s’engage à fermer les détroits, il faut bien qu’il s’engage envers quelqu’un et, en effet, il s’engage collectivement envers toutes les puissances signataires ; il n’est plus même libre, comme après 1809 ou 1833, de faire une exception ; il a le devoir de fermer, il n’a plus le droit d’ouvrir ; il y a donc bien, en réalité, atteinte à la souveraineté de la Turquie. Cette interprétation a été admise par la presque-unanimité des juristes, et elle n’a jamais été contestée par la diplomatie, jusqu’à ce qu’elle le soit, nous verrons dans quelles circonstances, par lord Salisbury, au Congrès de Berlin.