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Extrême-Orient. Quoi qu’il en soit, le succès diplomatique a été pour le cabinet de Saint-Pétersbourg ; mais n’est-il pas significatif de constater qu’en même temps qu’il regagnait son influence à Constantinople, il faisait sienne l’interprétation défendue à Berlin par lord Salisbury ; cette thèse est surtout favorable, en effet, aux puissances dont l’influence est prépondérante auprès de la Sublime Porte parce qu’elle leur permet d’avoir affaire au Sultan seul : les faibles se réfugient derrière les stipulations des traités collectifs ; les forts préfèrent traiter eux-mêmes leurs affaires. Si, de son côté, l’Angleterre a pris à cœur un si mince incident, c’est qu’elle cherchait l’occasion de quitter son attitude longtemps réservée dans les affaires d’Orient : au moment où elle pouvait redouter une action commune des forces russes et françaises dans la Méditerranée, elle était bien aise de s’assurer que l’ingénieux système de traités et de conventions par lequel elle était parvenue à fermer aux navires de guerre russes les portes de la Mer-Noire, pouvait encore fonctionner efficacement ; peut-être encore prévoyait-elle de prochaines complications en Extrême-Orient entre le Japon et la Russie ; enfin l’entente de la Russie avec l’Autriche-Hongrie, pour régler d’un commun accord les affaires des Balkans, et surtout les progrès de l’influence allemande à Constantinople pouvaient, dans une certaine mesure, l’autoriser à croire que les puissances continentales se disposaient à régler sans elle la question des Balkans et la porter à affirmer, par une démonstration diplomatique, l’autorité qu’elle conserve à Yildiz-Kiosk. Le demi-insuccès de son intervention a dû lui montrer à quel redoutable adversaire son influence se heurterait maintenant à Constantinople : le maître, aujourd’hui, en Orient, ce n’est plus ni le Russe, ni l’Anglais, c’est l’Allemand.


III

La guerre entre la Russie et le Japon a naturellement ramené l’attention sur la question des Détroits ; elle a montré tout ce qui se cache, sous cette législation internationale, de foncièrement arbitraire et de profondément vexatoire pour une grande nation comme la Russie ; sa meilleure escadre, au moment où l’on pouvait croire que sa prompte venue en Extrême-Orient serait de nature à changer l’issue de la lutte, s’est trouvée immobilisée dans la Mer-Noire, emprisonnée par des traités dont les alliés