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pourtant alarmés, écrit le philosophe[1] ; ils craignent qu’il n’y ait dans ce silence plus d’impossibilité de le rompre que de régime qui oblige à le garder. Monsieur le duc est donc très instamment prié d’avoir la bonté de faire savoir aux amis de M. le marquis de Mora si la poitrine est restée attaquée de la violente secousse qu’elle a éprouvée à Bagnères, s’il a encore des évanouissemens, et quels sont les alimens dont il fait usage. Monsieur le duc voudra bien pardonner ces questions au sentiment d’amitié qui oblige de les lui faire… »

Le beau-frère de Mora répond à cette requête avec le plus vif empressement et n’épargne point les détails : «… Vous pouvez assurer ses amis que sa poitrine n’est pas restée attaquée du tout de la violente secousse qu’elle a éprouvée à Bagnères et que, depuis qu’il en est sorti, il n’a pas essuyé le plus petit évanouissement. Il est cependant trop faible encore pour se nourrir seulement de légumes ; il mange un peu de notre puchero ou de notre pot à l’espagnole, du poulet et du veau. Il est même obligé de manger tout seul, et ce n’est qu’hier qu’il m’a fait l’honneur de dîner chez moi ; c’est la première fois qu’il a quitté sa chambre à pareille heure. Il sort fort peu, et avec toutes les précautions imaginables pour se garantir de l’air froid et vif de ce pays. En un mot, Monsieur, je puis avoir l’honneur de vous dire qu’il se rétablit, mais lentement… Il m’a chargé de vous assurer, ainsi que ses amis, de son attachement et de sa reconnaissance, et de vous dire qu’il a écrit la dernière semaine, et trois postes auparavant, à Mlle de Lespinasse[2]… »

Les lettres ultérieures du duc, celles de Mora lui-même envoyées par son entremise, donnèrent d’abord l’espoir d’une vraie convalescence. Les derniers mois de l’hiver, le début du printemps, n’amenèrent pas de rechute sérieuse, et Julie retrouvait quelque sécurité, quand subitement, un mois après le départ de Guibert, un nouvel accident survint, suscitant de nouvelles angoisses. « Il a craché le sang, il a été saigné deux fois,

  1. Lettre du 7 décembre 1772. — Retratos de Antano. Appendice avec reproduction photographique des lettres.
  2. « Ce qui m’étonne, répond d’Alembert à cette lettre, c’est ce que vous me faites l’honneur de me mander que M. le marquis de Mora a écrit plusieurs lettres à Mlle de Lespinasse. Elle n’en a pas reçu une, et sûrement ce n’est pas la faute de la poste d’ici… Elle a lieu de croire que les lettres qu’elle lui a écrites ont eu le même sort. En conséquence, monsieur le duc, permettez-moi de vous supplier de vouloir bien remettre cette lettre à M. le marquis de Mora. » (Lettre du 8 janvier 1773, loc. cit.)