L’auteur de Richard Wagner à Bayreuth a poétiquement imaginé que Wagner, à l’heure la plus sombre de sa vie, et comme « dans la nuit de ses efforts souterrains, » vit apparaître bien loin au-dessus de lui « une étoile à l’éclat mélancolique. Dès qu’il la reconnut, il la nomma : Fidélité, oubli de soi par fidélité. » Nietzsche n’était pas né sous cette étoile, et la fidélité, l’oubli de soi furent ses moindres vertus. M. Faguet estime qu’il était loyal et que sa loyauté même « le forçait à penser, à dire, à écrire des choses contradictoires et contraires à sa pensée générale, si, au moment où il les concevait, elles lui paraissaient vraies. » Dans ses relations avec Wagner, il semble pourtant qu’avant de manquer à la fidélité, il ait péché contre la franchise. À l’heure même où il écrivait Richard Wagner à Bayreuth, plus tôt peut-être, sa rupture intérieure avec Wagner était déjà consommée. Plus « inactuelle » encore, et dans un autre sens que le titre ne le laissait entendre, l’œuvre était un faux témoignage, le symbole posthume et mensonger d’une foi déjà trahie et morte. Aussi bien Nietzsche ne faisait pas mystère de ses inconséquences. Et surtout il n’en éprouvait nulle honte. De son propre aveu, Richard Wagner à Bayreuth était au fond « un hommage reconnaissant rendu à un moment de son « passé, » à la plus belle période de bonne mer et à la plus dangereuse aussi de son existence… c’était en réalité une rupture, un adieu. » C’était, en d’autres termes, l’application d’une maxime ou d’une loi personnelle, que Nietzsche a formulée en ces termes orgueilleux : « Il ne faut parler que de ce qu’on a surmonté. Mes œuvres ne parlent que de mes victoires. »
De sa victoire sur Wagner, chèrement achetée entre toutes, le vainqueur garda longtemps le secret. Il ne la publia qu’après plusieurs années. Mais alors il la célébra, comme il avait chanté sa victoire pour Wagner, sur le mode lyrique. Richard Wagner à Bayreuth reçut dans le Cas Wagner, dans Nietzsche contre Wagner et autres fragmens, un démenti furieux et pour ainsi dire enragé. En face d’une thèse et pour sa ruine, jamais antithèse ne fut soutenue avec plus de violence. Enthousiaste et fanatique à rebours, Nietzsche tourna contre sa croyance et son amour passé toutes les forces de son esprit et toutes celles de