et des succès mondains. Éclectique dans ses relations, elle accueillait avec la même bonne grâce gens de lettres et grands seigneurs, et l’on cite d’elle un trait qui fait quelque honneur à son goût : quand Rivarol adolescent, sans nom, sans amis, sans argent, n’ayant pour tout bagage que sa verve brillante, vint chercher fortune à Paris, la comtesse de Fuentès fut, dit-on, la première à reconnaître son esprit, à pronostiquer son talent ; elle le prit sous sa protection, célébra partout son mérite, le présenta dans les salons que, pendant tant d’années, cet incomparable causeur allait retenir sous son charme.
Tout concourait, ainsi qu’on le voit, à frayer les voies à Mora dans cette société bigarrée, pleine de contradictions et de contrastes surprenans, où la morale la plus facile s’alliait aux idées généreuses et la frivolité des mots au sérieux des idées, et dont l’éclat factice éblouissait l’Europe. Il y fut promptement à la mode ; Versailles d’abord, Paris ensuite, retentirent bientôt de son nom. Il est vrai que, si l’on en juge d’après les nombreux billets doux que l’on conserve encore dans les archives de sa famille, ses succès, au début, furent surtout ceux qui convenaient à son âge. Pour distraire ce veuvage précoce, affluèrent de toutes parts les plus dévouées consolatrices ; leurs soins ne furent pas repoussés ; et l’on put croire un temps qu’enivré par tant de conquêtes, Mora se contenterait de ces fragiles lauriers. Mais cette phase dura peu ; le trop facile métier de séducteur convenait mal à cette âme foncièrement chaleureuse, toute bouillonnante de sève, éprise des plus nobles chimères. Il ressentit promptement l’ennui profond de ce qu’on appelle les plaisirs ; les fêtes galantes et les amourettes de passage le lassèrent jusqu’à l’écœurement. Dès cette phase de son existence, et malgré son extrême jeunesse, les causeries littéraires, les discussions philosophiques, l’étude des grands problèmes qui commençaient alors d’agiter les esprits, eurent pour lui plus d’attrait que les dissipations mondaines.
On trouve une preuve de ces dispositions dans ces lignes qu’à cette époque il adressait à Condorcet pour le remercier de l’envoi d’un de ses manuscrits : « Ce que vous dites sur le sort de l’humanité est malheureusement si vrai, qu’on ne saurait trop estimer l’ouvrage, et l’auteur qui défend les droits opprimés. Mais il faut bien le cacher de la vue perçante des ennemis de la vérité ! Comptez donc sur mon profond secret. Si tout le monde