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modifié le caractère profond de sa nature. Une intime parenté faisait qu’en lisant les anciens, il avait la sensation d’être l’un d’eux. Et il les lisait souvent, les grecs aussi bien que les latins. Les poètes de l’Anthologie lui étaient familiers. C’était à peine les quitter que de fréquenter parmi les écrivains de la Renaissance et du XVIe siècle. Les poètes latins d’alors, les Bembo, les Sannazar, les Sadolet, les Ange Politien lui étaient familiers. Et ses ancêtres poétiques ce seront les poètes de la Pléiade et Ronsard, avant que ce ne soit André Chénier. Par là s’indiquent aussi bien les tendances de sa nature et les limites de son esprit. À coup sûr il est resté étranger à plus d’une des émotions qui font battre nos cœurs ou des inquiétudes qui tourmentent notre conscience. Mais aussi n’a-t-il pas cherché à les traduire. Il s’est contenté d’être un homme de la Renaissance. Il l’est par son culte de la beauté, par son profond sentiment de l’art, mais surtout par sa conception de la vie.

L’homme est pour lui le bel animal qui se déploie dans la plénitude de son activité et de son énergie. Il est tout près de la nature, et cette nature, maternelle et douce, lui tient toutes prêtes des sources d’infinies jouissances, afin qu’il y puise sans restriction et sans réserve. Elle a fait pour lui la pureté du ciel, la tiédeur de l’air et ses parfums, la grâce des êtres et des choses. Et l’homme en prenant possession de ce domaine a su en multiplier encore les attraits. Ambitieux et cupide, il y a décharné les convoitises, les rivalités, les guerres ; mais l’effort de la lutte ajoute au plaisir de vivre. C’est lui qui de son cerveau a fait jaillir l’art tout entier, et les jouissances de l’art surpassent toutes les autres. Donc respirer à large haleine, marcher d’un pas solide et conquérant, faire sonner sa voix, promener sur l’univers un regard émerveillé, jouir de tout ce qui est beau, et s’exalter dans la joie, c’est l’art de vivre. Sur cette joie de vivre ne passe qu’une ombre, celle que projette le terme inévitable. Mais ce terme est lointain, il est ignoré ; d’ailleurs pourquoi se révolter contre la loi du destin, et comment s’affliger parce que l’on partage le sort commun ?

Aussi les êtres que le poète a créés, ou plutôt les ombres qu’il a évoquées sont-elles reconnaissables à un même caractère. À travers toute cette épopée humaine on retrouve un même personnage qui la domine : c’est le héros. Ce héros, c’est d’abord, au sens antique et littéral, le demi-dieu. C’est Hercule le dompteur de monstres, Persée qui sur le cheval aux ailes de flammes emporte Andromède vers les régions de l’éther où les attend une place lumineuse. Puis c’est l’Imperator, celui qui s’enivrant de carnage, de bruit et de sang, sa-