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avec un degré d’évidence ou d’urgence irrésistibles. La plupart des journaux anglais, — et nous les en remercions cordialement, — disent qu’il n’y a eu ni traité, ni alliance, ni même, très probablement, aucun projet de ce genre ; mais ils ajoutent que si l’Allemagne avait attaqué la France à cause de son rapprochement avec l’Angleterre, celle-ci, très certainement, aurait reconnu dans la cause de la France la sienne propre : et rien, en effet, n’aurait été plus exact. Le principe, ou plutôt le fait une fois admis, les conséquences n’auraient pas manqué d’en découler, sans traité, sans alliance, sans protocole préalables. Nous avons fait allusion à la conversation de M. le prince de Bülow avec un rédacteur du Temps. Nous rendons pleinement justice à la haute courtoisie du chancelier de l’Empire et à l’esprit très politique, c’est-à-dire très conciliant, dont il a fait preuve dans cette circonstance. S’il a voulu produire sur l’opinion française une impression de détente, il y a réussi et plus même qu’on ne le dit. Ce ne sont pourtant là que des paroles, et nous attendons qu’elles soient confirmées par des actes plus concluans, plus décisifs, plus définitifs surtout que l’arrangement du 29 septembre. La conférence ne manquera pas d’en fournir l’occasion.

Toutefois, si la conversation de M. le prince de Bülow nous a convaincus de ses bonnes dispositions pour l’avenir, les explications qu’il a données de l’attitude de l’Allemagne dans le passé le plus récent ne nous ont pas apporté une lumière aussi vive. A les prendre au pied de la lettre, il faudrait admettre que tout le bruit qui s’est fait est venu d’une pique personnelle de l’empereur Guillaume contre M. Delcassé, et, bien que l’histoire montre parfois de très petites causes produisant de grands effets, nous hésitons à croire que, dans le cas actuel, M. le prince de Bülow nous ait tout dit, — à moins qu’il ne faille nous arrêter et appuyer plus qu’il ne l’a fait sur « certains rapprochemens qui, a-t-il déclaré, sans avoir la valeur d’une alliance, ont paru beaucoup plus inquiétans. » De quoi s’agit-il ici, sinon de notre entente cordiale avec l’Angleterre ? Et on voit que M. de Bülow n’a pas attendu les tardives révélations du Matin pour porter ses préoccupations de ce côté. Là, en effet, est la seule explication suffisante et en quelque sorte adéquate de tout ce qui s’est passé. Si on a eu cette impression à Londres aussi bien qu’à Berlin, et si, à tort ou à raison, on y a cru qu’une agression possible, bien qu’improbable, de l’Allemagne contre la France avait pour cause principale notre commun rapprochement, l’Angleterre aurait commis, en nous abandonnant à notre sort, une défaillance dont nous la croyons incapable.