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foi et une bonne volonté réciproques ont fait naître finalement une confiance sérieuse. Si c’est là l’exemple qu’on invoque, il faut s’en inspirer jusqu’au bout. Notre embarras, en présence de la politique allemande, c’est que, maigre toutes les gloses et les commentaires qu’on nous a prodigués, nous ne la comprenons pas encore très bien. Nous demande-t-on seulement de ne pas songer à « isoler » l’Allemagne et de parler avec elle de toutes les affaires où nous avons un intérêt commun, ou même de toutes les affaires où sont engagés les intérêts généraux de l’Europe et du monde ? Alors rien de plus simple. C’est là ce qu’on a toujours dû faire, et s’il est vrai qu’on ne l’ait pas fait toujours, on a eu tort. L’Allemagne est une trop grande puissance pour qu’on ne s’enquière pas de ses idées et de ses sentimens dans toutes les circonstances de ce genre, et naturellement pour qu’on n’en tienne pas un compte convenable. Mais s’il s’agit de nous rattacher étroitement, intimement, forcément, à la politique de l’Allemagne, et de nous obliger à faire avec l’Allemagne, contre l’Angleterre, ce que nous n’avons pas l’ait avec l’Angleterre contre l’Allemagne, c’est à quoi aucune suggestion, aucune pression, ni même aucun exemple, d’où qu’il vienne, ne sauraient nous déterminer. Nous ne sacrifions pas d’avance la liberté de notre politique pour des éventualités que nous ignorons.

On a pu craindre, par momens, qu’il n’y eût quelque chose de cela dans les intentions de la politique allemande, à en juger par les vigoureuses poussées et les tentatives d’étreinte qui la manifestaient. Mais M. le prince de Bülow a déclaré qu’il n’en était rien : il s’est contenté de nous demander notre aidé pour dissiper les préventions de l’Angleterre contre l’Allemagne. Nous l’y aiderons bien volontiers, pourvu qu’il s’aide lui-même. Nous ne croyons pas plus que lui à une « guerre fatale » entre les deux pays. Toutes les réconciliations sont possibles, pourvu qu’on y mette le temps et le prix. Mais entre l’Angleterre et l’Allemagne, de même qu’entre l’Allemagne et nous, il faut tout d’abord laisser tomber des polémiques inutiles, mortifiantes et irritantes. Tout cela appartient au passé. Le passé est ce qu’il est ; nous ne pouvons rien sur lui. Mais il peut malheureusement beaucoup sur nous, si nous n’avons pas la sagesse de partir du présent seul et d’y accommoder l’avenir.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

F. BRUNETIERE.