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souvent forcé à des réticences, à des mensonges, si vous voulez les appeler ainsi, dont le principe n’a jamais été que de la délicatesse… Il m’arrive ce que j’avais si tristement et si souvent prévu : vous finissez par me haïr[1]. » La cause de cette rancune, on voit qu’il la soupçonne vaguement ; ce qu’il apprend bientôt achève de lever tous ses doutes : une heure après son départ de Paris, Julie a reçu l’assurance, par une voie restée mystérieuse, que la veille, lorsqu’elle l’attendait, il passait toute l’après-dînée et la soirée entière en tête à tête avec Mme de Montsauge ; c’est au prix d’un mensonge qu’il s’est efforcé de cacher ce rendez-vous suspect. « Je vis donc et je crus, — dit-elle, après avoir fait ce récit[2], — tout ce qui pouvait m’affliger davantage. J’étais trompée, vous étiez coupable, vous veniez dans le moment même d’abuser ma tendresse !… Cette pensée soulevait mon âme ; je me sentais au comble du malheur ; je ne pouvais plus vous aimer ! » Dans son indignation première, elle a fait le serment de cesser à jamais tous rapports avec le perfide, de ne même plus ouvrir ses lettres. Dix jours, elle s’est tenu parole, et si elle rompt aujourd’hui le silence, c’est pour exiger, coûte que coûte, une explication décisive et une confession sans réserve.

Nous possédons la réponse de Guibert[3]à cet ultimatum. Elle est franche et sincère, autant que malhabile, et peu faite, à coup sûr, pour panser la blessure de ce cœur ulcéré : « Que je suis fâché de tout le mal que je vous ai fait ! Je vous en ai fait, je ne prétends pas me justifier. Je vous ai caché que Mme de Montsauge était partie le samedi au soir pour la Bretèche, que je l’avais vue. En effet, elle partit à neuf heures du soir. Je restai jusqu’à cette heure-là avec elle et, vous l’avez deviné, je ne voulus pas en la quittant aller chez vous ; je rentrai chez moi. Je m’étais séparé d’elle avec attendrissement, et cette émotion était venue d’elle ; quelques larmes avaient mouillé mes yeux. Ce n’est plus que de l’amitié, me disait-elle ; mais c’est de l’amitié vive, tendre, telle qu’elle aurait une peine mortelle, si je pouvais jamais l’oublier. J’ai passé une partie de la nuit à m’examiner et à ne pas me comprendre, à sentir que je n’étais pas guéri, et que, cependant, vous m’étiez chère… Quel labyrinthe que mon cœur !

  1. Lettre de Guibert du 27 août.
  2. Lettre du 25 août. — Édition Asse. Cette lettre se croisa avec celle de Guibert que j’ai citée plus haut.
  3. Lettre du 31 août. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.