Ces derniers mots suffiraient à prouver que, si la passion dure encore, la jalousie, son triste corollaire, n’a pas cédé non plus devant les approches de la mort. La pensée des deux femmes qu’elle laissera derrière elle, l’ancienne maîtresse et l’épouse légitime, empoisonne ses derniers instans, et elle attaque souvent Guibert sur les embarras que lui causent tant de diverses affections, qui réclament tour à tour leurs droits : « Que ferez-vous demain[1], mon ami ? Non pas, comme de raison, ce que vous avez dit que vous feriez, mais ce qui plaira à la première ou à la dernière venue[2] ; et cela est juste, car c’est entre les deux qu’est ma place. Que je rendrais grâce au Ciel si, avant que de mourir, je pouvais m’exiler de ce trio ! En vérité, vous les feriez mourir d’humeur, si vous veniez à leur dire la vérité. Moi, vieille, laide, maussade, mourante, figurer avec ce qu’il y a de plus aimable et de plus charmant dans ce pays-ci ! Mon ami, vous avez le goût dépravé. J’en suis bien fâchée pour vous ; car moi je m’en vais, mais vous, vous resterez dépravé. »
Ces tristes ironies ont remplacé les violences d’antan. Janvier a vu leur dernière scène, si terrible, à vrai dire, que, le lendemain, lorsqu’il a repris son sang-froid, Guibert a redouté quelque résolution fatale : « Mon amie, quelle réponse ! a-t-il écrit avec effroi[3]. Je la trouve en rentrant chez moi, et je frémis. L’état dans lequel je vous ai laissée se joint à tant d’horreur, et achève de m’accabler. Vous aviez la pâleur de la mort… Moi, votre bourreau ! Ah ! tue-t-on ce qu’on aime, ce qu’on ne peut se passer d’aimer ? Deux mots, je vous en conjure, je ne respire pas. Ah ! mon amie, vous voulez donc que je pleure en larmes de sang la scène d’hier au soir ? » A dater de ce jour, moitié crainte, moitié compassion, il s’est juré de se contenir, de tout accepter sans révolte, et il nous faut maintenant admirer sa patience. Aux mots amers, aux reproches silencieux, plus pénibles encore, il n’oppose plus que la résignation, le repentir, la douceur suppliante : « Je le sens, je le vois[4], je n’ai plus rien à attendre de vous, mon amie. Le désespoir et le désir de la mort habitent dans votre âme. Vous êtes détachée de tout. Pas une parole de douceur et de bonté n’est sortie de votre bouche