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soucis ; et pour gagner eux-mêmes de quoi boire copieusement au cabaret, ou de quoi acheter, s’ils sont sages, un livret à la caisse d’épargne, un morceau de pain pour leur vieillesse, avant d’aller s’anéantir dans ce même cimetière, où tout finit. Ce sont les dogmes d’un siècle raisonnable. Ne contredisons jamais aux dogmes de notre temps ; il y avait autrefois un Saint-Office, il y a maintenant une presse éclairée pour corriger les fous qui donnent dans ce travers. Mais j’oublie que je suis venu ici pour admirer le développement économique de l’Allemagne.

C’est un soulagement de revoir des bois, des champs, aux approches de Munster. En souvenir du Prophète, je m’arrête dans la ville de Jean de Leyde. Elle rentre dans mon programme : Munster fut une des cités hanséatiques, à l’époque où la Ligue avait des confédérées à l’intérieur des terres. Elle ne s’est pas accrue et transformée à l’égal d’autres villes provinciales, brusquement enflées par une opulence qui détruit leur ancienne physionomie. Munster est restée la bourgeoise discrète de l’ancien temps, ramassée autour de l’Hôtel de Ville Renaissance et de la place du Marché. Dans les rues qui s’écartent du centre, les vieilles horloges sonnent des heures lentes sur de rares passans ; ils vont en famille écouter la musique dans le parc du château Louis XV, un de ces petits Versailles rococo dont raffolaient les principicules allemands. C’était la résidence des princes-évêques ; le roi de Prusse les a expropriés. Je rencontre l’évêque actuel, il déambule entre deux chanoines contre le chevet de sa cathédrale ; et c’est un tableau de chez nous, ce prélat déchu des anciennes splendeurs, errant sous les ormeaux du mail désert et silencieux, un mail tout pareil à ceux de nos préfectures languissantes. Peu d’objets d’art dans les nombreuses églises : elles furent toutes dévastées et aux trois quarts détruites par la Commune de 1535.

Je l’appelle ainsi, car l’analogie est frappante entre les scènes dont Paris fut le théâtre en 1871 et celles que rapportent les annalistes du siège de Munster. Mais ce dernier s’étant prolongé quinze mois, la courbe logique des grands soulèvemens populaires y est mieux dessinée ; elle parcourt toutes les phases obligatoires, de l’enthousiasme au désespoir, de la licence à la tyrannie. Des socialistes très convaincus institueront ici une expérience intéressante de la doctrine collectiviste. Les pierres