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POÉSIE

UNE FAMILLE DE SOLDATS


L’AÏEUL


Né sous le chaume et fils de pauvres paysans,
Mais sachant lire, il vient à la ville, à seize ans,
Chez son oncle, un charron, pour son apprentissage
Ce solide garçon, laborieux et sage,
Ne s’imagine pas qu’il doive, un jour, chercher
Aventure et quitter l’ombre de son clocher.
Quand son patron, un soir, au repas de famille,
Annonce qu’à Paris on a pris la Bastille,
Et raconte plus tard qu’on y traite en vaincu
Ce roi dont le profil brille sur chaque écu,
L’enfant, certe, est surpris, mais il ne comprend guère ;
Et ce n’est que trois ans après, quand vient la guerre,
Que, jeune homme, il s’émeut pour le danger public.
« Vive la nation ! » L’outrage de Brunswick.
Le soufflette et lui met la chaleur à la joue.
Un jour qu’il est en train de ferrer une roue,
Il entend le tambour, là-bas, près du marché.
Il y court. Le tribun, sur l’estrade juché,
Criant, gesticulant et parlant comme un livre,
La foule, les soldats, les drapeaux, tout l’enivre.
Bras nus, tenant encore d’une main son outil,
Vite, il signe, il s’enrôle, il réclame un fusil.