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Font, sous leurs voiles blancs, rêver bien des Moresques,
Charge comme Murat. Plusieurs fois, des témoins
L’ont vu, sabre au fourreau, cravacher les Bédouins.
Mainte face bronzée en garde encor l’empreinte.
A la cantine, on conte, à l’heure de l’absinthe,
Que, devant vingt fusils que sur lui l’on braquait,
Il alluma sa pipe en battant le briquet.
Il est fameux dans cette admirable conquête
Où les clairons français qui sonnaient la « casquette »
Et vers le Sahara guidaient nos bataillons,
Repoussaient devant eux Arabes et lions.
Aussi quelle carrière heureuse ! Alger la Blanche,
Quand, du Sud, il y vient parfois, voit, sur sa manche,
Deux, trois, quatre galons se tordre en trèfles d’or.
Le vieux Bugeaud le prend dans son état-major.
Plus tard, en Kabylie, encore il se distingue.
Puis l’Empereur — que les frondeurs nomment Badingue —
Près du trône, à Paris, veut ce bel africain.
Il s’y plaît, bien qu’il soit trop souvent en pékin ;
Mais, le matin, sur les boulevards plantés d’ormes,
Autour du Champ-de-Mars, quels brillans uniformes !
Le voilà, sans regret de son vieux yatagan,
Colonel des chasseurs au talpack d’astrakan.

C’est en cinquante-sept, le plein midi du règne.
L’heureux homme ! Il galope aux chasses de Compiègne.
Aux bals de cour, il est le valseur — combien chic ! —
De la Castiglione et de la Metternich.
La fortune le traite encor mieux qu’il n’espère.
Il prend femme et d’un bel enfant il devient père,
Il passe général, le soir de Magenta ;
Et que de fleurs, que de baisers on lui jeta
Des balcons de Milan pleins de toilettes fraîches,
Dans ce jour triomphal ou le Dôme aux cent flèches,
Bouquet de marbre blanc, flambait au gai soleil !
Sa vie est un bien beau songe !

Hélas ! quel réveil !

Le canon d’outre-Rhin, brutal, vient de répondre