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Contraindre la petite Weser à devenir la voie nourricière et l’exutoire d’un grand port, ce fut en vérité une audacieuse gageure. L’estuaire, peu profond et barré par des bancs de sable, suffisait aux bateaux de la Hanse médiévale ; les monstres marins d’aujourd’hui ne peuvent s’y introduire. On leur a creusé un port à Bremerhaven, distant de 63 kilomètres ; et là même, l’embarquement à quai sur les grands paquebots n’est pas toujours assuré : par les basses mers, il faut aller chercher le navire au débouché du chenal. De Bremerhaven à Brème, jusqu’au port franc aménagé à l’entrée de la ville, l’estuaire ne permet qu’un tirant d’eau de 6 mètres à haute marée. Plus loin, dans la ville et en amont, on affouille, on drague sans cesse le lit vaseux de la chétive rivière ; on obtient ainsi à grand’peine le tirant d’eau de 1m, 50, requis pour le passage des gros chalands. Enfin, depuis Cassel, point où elle commence d’être navigable, cette médiocre servante ne traverse aucune houillère, aucun centre manufacturier. Brème, tributaire des Anglais pour une forte part du combustible, ne peut recevoir le charbon allemand et les produits d’exportation que par les voies ferrées. Voici donc une reine de la mer qui en est séparée, sans facilités fluviales pour distribuer les apports maritimes à l’intérieur du continent.

La république brémoise a remplacé tout ce que la nature lui refusait par une volonté au service d’une tradition. Les ancêtres avaient porté très haut le pavillon hanséatique ; en dépit des obstacles matériels et des exigences nouvelles de la navigation, les fils ont voulu maintenir ce pavillon au premier rang : ils y ont réussi. Brème et Bremerhaven possèdent ensemble une flotte de 333 vapeurs et 128 voiliers. Le mouvement total du tonnage, entrées et sorties comprises, s’élève pour les deux ports à 5 363 000 tonneaux de jauge.

La ville est le siège d’une des deux grandes compagnies mondiales de paquebots qui accaparent, au profit de l’Allemagne et au détriment des autres nations, une part chaque jour plus considérable du trafic maritime. Malgré le proche voisinage de Hambourg, Brème reste le premier marché allemand des tabacs, du coton ; elle dispute à sa rivale d’autres spécialités. Toutes proportions gardées entre un groupement de 210 000 habitans, et un autre qui dépasse le million, il m’a paru que Brème ne le cédait en rien à Hambourg pour l’activité, l’esprit d’entreprise, la richesse manifestée dans l’extension rapide d’une ville qui