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Apprendra seulement qu’il est un orphelin.
Pauvre père ! Il sanglote alors. Son cœur est plein,
Pour son unique enfant, de tendresse infinie.
Pourtant il a la force, avant son agonie,
D’écrire, en relevant sous le drap ses genoux :

« Je meurs. Adieu, mon fils. Sois soldat. Venge-nous. »


LE FILS


Se rappelant toujours cet ordre laconique,
Le fils du général entre à Polytechnique.
Il en sort en bon rang, bourré d’algèbre et d’x ;
Et — l’annuaire est là — Morel (Victor-Félix),
Depuis plus de vingt ans, sert dans l’artillerie.

C’est l’officier modèle et, dans sa batterie,
Ses hommes qu’il a su conquérir par le cœur,
Étant bon sans faiblesse et juste sans rigueur,
Quand ils disent entre eux ce mot : « le capitaine, »
Ont, dans leur regard jeune, une fierté soudaine.
Ils sentent, pour ce chef pourtant peu galonné,
L’affectueux respect qu’inspire un frère aîné.
Sur son ordre, ils sont prêts à toutes les prouesses,
Et ces braves garçons, pour défendre leurs pièces,
Se feraient avec lui tuer jusqu’au dernier.
D’ailleurs le capitaine est un beau cavalier
Et, sans abandonner les livres et l’étude,
De tous les rudes sports il garde l’habitude.
Il a l’air martial et fort comme pas un,
Quand il conduit, si bien campé sur son bai-brun,
Son long train de canons, d’affûts et de prolonges.
Alors, dans ses yeux clairs, flottent encor les songes
De sa jeunesse, hélas ! si lointains maintenant,
Lorsque, sous son képi tout neuf de lieutenant,
Il rêvait de brandir au soleil de l’Argon ne
L’acier de son épée et l’or de sa dragonne
Et de montrer à ses canonniers au trot lourd,
Là-bas, à l’horizon, la flèche de Strasbourg.