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politique extérieure doit rester indépendante de la politique intérieure, parce qu’elle se rapporte aux intérêts permanens de l’État. Un pays peut changer de ministère et même de gouvernement, il peut être modifié profondément dans sa constitution organique sans que ses caractères, en tant que personne internationale, en soient altérés. Nous ne l’avons pas toujours compris, et tout le monde ne le comprend pas encore chez nous. Nous avons des révolutionnaires qui se croient obligés d’honneur à soutenir la révolution dans le monde entier. Cependant, même parmi eux, l’éducation politique est en progrès, comme le montre l’exemple donné par M. Paul Brousse, président du Conseil municipal de Paris. M. Brousse, après avoir reçu avec une grande courtoisie le roi d’Espagne à l’Hôtel de Ville, est allé à Londres sur l’invitation de la municipalité et n’a pas manqué d’y rendre respectueusement visite au roi Edouard ; puis il a traversé les Pyrénées pour se rendre à Madrid en même temps que M. le Président de la République. Et il n’était pas seul : bon nombre de ses collègues, socialistes, collectivistes, révolutionnaires, l’ont accompagné dans ses voyages. Sans doute, cela lui a valu un blâme des énergumènes de son parti ; mais il n’a pas paru s’en soucier ; il a persévéré ; il a continué. Ce sont là des symptômes qui méritent d’être relevés : ils témoignent chez nous d’une intelligence plus exacte de ce que sont les nations étrangères, et d’un respect plus grand de leur liberté ; ils témoignent aussi d’un esprit moins doctrinaire et plus réaliste dans nos relations avec le dehors.

La continuité de la politique extérieure commence, d’ailleurs, à apparaître partout comme une nécessité. Les déclarations des orateurs libéraux, en Angleterre, montrent que, s’ils arrivent au pouvoir, comme cela est probable, ils n’y changeront rien à la politique de lord Lansdowne. Et ce ne sont pas seulement sir Ed. Grey et M. James Bryce qui en donnent l’assurance ; lord Rosebery lui-même, que ses tendances inclinent plutôt du côté de l’Allemagne que de celui de la France, vient de prononcer un discours, dans lequel il a dit que la continuité d’une politique étrangère de second ordre valait] mieux que la mobilité d’une politique supérieure. Là comme partout, rien n’est plus fort qu’une tradition. Ces considérations nous ont un peu éloignés, en apparence, du voyage de M. le Président de la République à Madrid et à Lisbonne ; mais elles nous y ramènent. Les relations que nous avons inaugurées avec nos voisins, avec tous nos voisins, doivent être durables pour produire tous leurs effets, et la visite rendue par M. le Président de la République aux rois