pas échappé à ceux des grévistes. Bien qu’il ne fût rien encore, les grévistes se sont adressés à lui, comme s’ils avaient pressenti, nous allions dire devancé le choix de l’empereur. M. Witte leur a donné les meilleurs, les plus sages, les plus fermes conseils. Il a essayé de leur faire comprendre que le gouvernement ne pouvait pas céder à un ultimatum venant d’eux, et que, s’ils continuaient de tenir la population tout entière sous la menace de la disette et du pillage, ils s’exposeraient à une répression sanglante si elle venait de l’autorité militaire, et encore plus implacable si elle venait de la population elle-même, affolée et exaspérée. C’était bien le langage à tenir ; mais nous ignorons encore l’impression qu’il a produite. Il faudra probablement autre chose que des paroles pour interrompre le mouvement gréviste, derrière lequel apparaît si clairement l’action révolutionnaire. M. Witte le sait bien. Aussi annonce-t-on déjà que, s’il en est le maître, il donnera d’une main assez large la liberté de la presse et la liberté de réunion. Il aura raison, non pas que l’exercice de ces libertés, sans préparation, sans éducation préalable, n’ait pas de graves inconvéniens, mais parce qu’il faut faire quelque chose et, comme nous l’avons dit plus haut, occuper les esprits et satisfaire au moins quelques-unes de leurs exigences. Ces exigences sont d’ailleurs légitimes. Le pouvoir absolu a produit de tels résultats en Russie que le moment est venu de le tempérer par quelques institutions de contrôle. Le malheur est qu’on ait attendu une grève révolutionnaire pour faire tout cela. Le malheur est que les grévistes auraient pu répondre aux bons conseils de M. Witte en lui disant que, sans eux, il ne serait peut-être jamais devenu premier ministre. Le malheur est que la volonté impériale, au bleu d’agir dans son indépendance et sa spontanéité, aura eu l’air de ne s’y résoudre que contrainte et forcée. On fait bien toutefois de se résigner à ce malheur, car il pourrait y en avoir de pires encore. Mais les événemens suivent leur cours, et nous ne pouvons que les observer.
Nous le faisons avec les sentimens d’amitié inaltérée que nous avons pour la Russie. Nulle part plus qu’en France, on ne forme aujourd’hui des vœux pour le rétablissement de sa tranquillité intérieure, comme on en formait hier pour la cessation d’une guerre qui avait trop duré et où, désormais, elle épuisait inutilement ses forces. La Russie est notre alliée ; rien de ce qui la touche dans ses œuvres vives ne saurait nous laisser indifférens. La crise qu’elle traverse est arrivée à l’état aigu. Peut-être cela vaut-il mieux, car rien n’est plus dangereux que de s’endormir dans une fausse sécurité. Plus ce som-