Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/253

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
247
un voyage à sparte.

La soutenance de Ménard eut beaucoup d’éclat. Nous avons sa thèse dans le livre qu’il a intitulé : La morale avant les philosophes, et qu’il compléta, en 1866, par la publication du Polythéisme hellénique. C’est quelque chose d’analogue, si j’ose dire, au fameux livre de Chateaubriand ; c’est une sorte de Génie du polythéisme. Le polythéisme était un sentiment effacé de l’âme humaine ; Ménard l’a retrouvé. Il est le premier qui n’ait pas partagé l’indignation de Platon contre la mort de Socrate. Socrate se croyait bien sage de rejeter les traditions antiques et de dénoncer des fables grossières ; il pensait épurer l’intelligence athénienne et dissiper les ténèbres de l’obscurantisme, mais un scepticisme général sortit de son enseignement. Un peuple qui a renié ses dieux est un peuple mort, écrit Ménard. Et ce n’est pas l’art seulement, c’est la liberté qui mourait avec le polythéisme.

Le nouveau docteur désirait de partir pour la Grèce et il allait l’obtenir, quand un fonctionnaire s’y opposa, sous prétexte que la thèse du postulant se résumait à dire que « le polythéisme est la meilleure des religions, puisqu’elle aboutit nécessairement à la république. »

Ce fonctionnaire impérial avait bien de l’esprit.

Avec son émotivité d’artiste et de Parisien, Ménard était à point pour participer à tous les enthousiasmes et toutes les bêtises de l’Année terrible. Heureusement qu’une pleurésie l’empêcha de prendre part à la Commune. Il se serait fait tuer sur les barricades ou exécuter par les tribunaux de répression. Il ne put que la glorifier. Ses amis blâmèrent son exaltation. Il s’enfonça tout seul dans l’ombre.

Il y médita son chef-d’œuvre, les Rêveries d’un païen mystique.

Ce petit volume mêlé de prose et de vers, d’une dialectique allègre et d’un goût incomparable, un des honneurs du haut esprit français assailli par le vulgaire et par les étrangers, peut servir de pierre de touche pour reconnaître chez nos contemporains le degré de sensibilité intellectuelle.

Nos plus illustres mandarins, la chose éclate avec scandale dans le Tombeau de Louis Ménard (édité par le jeune Édouard Champion), ignoraient ou ne comprirent pas Ménard. C’est qu’à notre époque, il y a plus d’écrivains à tempérament que d’esprits justes et plus de brutalité que de maîtrise.