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que pour les initiés il flotte encore sur les débris du Parthénon ?

Un sage voyageur voudrait agir comme ces animaux qui prennent la couleur, la forme, l’apparence exacte des objets qui les entourent. Un beau voyage, c’est un cas de mimétisme. Gautier épanouit une âme orientale, Stendhal milanaise, Corneille espagnole et M. Taine britannique. Certes un Corneille se construit une Espagne autrement forte que celle de Gautier, mais enfin, l’un comme l’autre, ils ont su mettre de l’unité dans leur vision, et se faire de l’âme avec des beautés étrangères. Aurai-je leur bonheur ?

Je suis d’une race qui trouva ses dieux au plus épais des forêts. Ils me favorisent encore en Lorraine et en Alsace, tandis que les divinités marines m’énervent avec leur sel et leur mobilité.

J’ai traversé comme un colis des messageries, et nullement comme un Ulysse, une mer qui m’embrouillait tout. Nous fîmes une courte relâche à Naples, grossière et pleine de cris matinaux, sous un ciel voilé qui ne laissait point chanter Ischia, Castellamare, Sorrente, ni le Pausilippe. Dans la nuit, le Stromboli jetait des flammes et prêtait à ces rêveries où, sur mer, l’esprit le mieux discipliné s’égare. Le commandant me dit : « Nous passerons à deux heures du matin Charybde et Scylla. Par votre hublot, vous respirerez les orangers de la Sicile. » Nous franchîmes les limites de l’antiquité latine pour entrer dans la grecque. Après vingt-quatre heures, nous arrivâmes aux falaises basses de Cythère. Aurais-je atteint l’âge de n’y voir qu’un écueil sans agrément ? Des îlots, puis les escarpemens d’Hydra me confirmèrent dans ma déception. Les géographes, en dénonçant l’aridité des contours du Péloponèse, ne m’avaient point jusqu’alors gêné pour y amasser de la volupté, car j’imaginais une désolation émouvante comme le visage des héros vaincus ou, mieux encore, déchirante comme le cri des violons tziganes dans une nuit chargée de parfums. Mais, sous un ciel pareil au nôtre, j’ai vu leurs roches usées par les chèvres, dirait-on, plutôt que brûlées par une activité surhumaine. Ces lieux du miracle hellénique ont passé l’automne extrême où la fleur qui vient de défaillir couvre encore le sol de ses pétales.

Si puissante est la force de ces grands noms de la poésie, qu’après quelques semaines, mon imagination, repoussant mon expérience, rétablit sur ces îlots des beautés enivrantes et vagues. Le mirage restaure son règne sur les pauvres écueils, d’où ma