Une voiture paysanne, sa roue rompue, venait de verser ; douze officieux accourus ramassaient un enfant, et sur son petit front le malheureux serrait ses mains instantanément sanglantes. Une émotion d’horreur anéantit ma joie. Un cocher empoigna l’enfant, courut vers son fiacre, le mit sur le siège à son côté et fouetta vers quelque pharmacie ; mais la victime, qu’il tenait d’une seule main et que le sang couvrait de plus en plus, faillit à un tournant retomber. Le beau ciel me révolta. « Je vais goûter, me disais-je, un plaisir d’art, le plus grand, je crois, de ma vie ; que ne puis-je en le sacrifiant racheter la peine de ce faible ! »
Tandis que je gravissais l’Acropole, non par la route carrossable, que je n’avais pas su trouver, mais à travers les masures des pentes et sur les vieux sentiers turcs, ma pensée, mise en mouvement par ce drame de la rue, s’en alla, je me le rappelle, vers ces enfans que la République, peu avant Platées, lapida parce que leur père proposait d’accepter les avances des Perses.
C’est peut-être puéril que je teinte avec le sang de ce petit écrasé ma première image du Parthénon, mais c’est un fait, et grâce auquel le Parthénon m’a tout de suite été une émotion vivante. Si je fus sur l’Acropole d’esprit médiocre ou peu rapide, du moins n’y ai-je pas conduit des nerfs enveloppés, protégés par la poussière des livres. Sur la haute terrasse, les Propylées franchies, dans le premier émoi d’un spectacle longuement annoncé, et quand l’harmonie des monumens avec le cercle des montagnes ébranlait en moi ces ressources de respect que nous autres, bons Celtes, nous promènerons toujours à travers les hommes et les choses, je me tournai d’instinct vers Salamine et vers Marathon pour remercier les soldats, les tueurs, qui permirent à la pensée grecque, à la perfection, d’exister. « Non seulement leur pays conserve leurs noms gravés sur des colonnes, mais, jusque dans les régions les plus lointaines, à défaut d’épitaphes, la renommée élève à leur mémoire un monument immatériel. » Ainsi parla, jadis, Périclès. Et ma présence, après vingt-trois siècles, justifiait cet engagement. Mais, en même temps, je sentais combien de choses diaboliques soutiennent ce que nous jugeons divin. J’entendais la mère qui poursuivit Périclès de ses lamentations.
Cette mince circonstance méritait-elle que je la rapportasse ?
Je perdrais sans gloire mon temps si, dans un voyage voulu