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plus que doublé, 3 800 millions ; deux ans après, en 1898, il s’élève à 6300 millions ; cinq ans encore, et il atteint en 1903 les 10 milliards. Chiffres d’autant plus intéressans qu’ils sont, dirait un algébriste, les « exposans » du développement économique de l’Allemagne, les signes qui expriment la puissance de tous les autres nombres que l’on pourrait placer en regard. Hambourg est en effet l’emporium où l’Allemagne déverse sa production industrielle et d’où elle tire les objets de consommation qu’elle ne produit pas : le trafic de ce port donne donc une mesure exacte de l’augmentation des besoins et des forces productives à l’intérieur du nouvel empire. Dans le livre où j’ai pris le calcul de la progression du trafic jusqu’en 1898, Hambourg et l’Allemagne contemporaine, M. Paul de Rousiers montre fort bien quelles sources viennent former le fleuve du commerce hambourgeois. Je renvoie le lecteur à cet ouvrage autorisé : mes notes n’y sauraient rien ajouter, elles ne prétendent qu’à donner quelques images sensibles d’une vie si prodigieusement accrue. Je ne veux pas les surcharger de chiffres : mais ceux que j’ai reproduits suggéreront à tous les esprits une observation.

Les victoires commerciales ont suivi de près les victoires militaires : ces coquins de chiffres, avec la cruauté cynique dont ils sont coutumiers, en portent un témoignage irréfragable. Pour Hambourg et pour tout le pays dont ce port exprime l’évolution économique, l’ère de prospérité a commencé peu après la guerre ; la guerre qui accumule les ruines et les misères, s’il faut en croire les dissertations de rhétorique. Et il faut les en croire, elles ont raison ; mais d’une raison courte, ignorante des conséquences du fléau, des réactions salutaires qui rendent parfois au centuple les biens qu’il a détruits. Seule, la guerre civile est toujours dissolvante et impitoyablement destructrice : on le voit assez dans certaines parties de l’Allemagne, qui ont mis des siècles à se relever de la guerre de Trente Ans. La lutte heureuse contre l’étranger donne souvent à un peuple ces capitaux rares et précieux entre tous : la confiance en soi-même, l’audace dans les entreprises, la conscience d’une grandeur nationale à étendre et à perpétuer dans tous les ordres de l’activité humaine. Que des fruits savoureux puissent naître de cette tige empoisonnée, la guerre, toute l’histoire en fait foi, depuis la vieille Rome jusqu’à la nouvelle Allemagne.