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illuminées, bordée de « Tivolis, » d’« Eldorados, » de « Variétés ; » ils y coudoient d’honnêtes familles allemandes qui vont entendre de la musique bien sage. Les matelots cherchent des joies plus grossières dans le pandémonium où les sollicitent à l’envi théâtres, cafés-concerts, exhibitions de phénomènes et de figures de cire, bouges d’un luxe criard et tavernes sordides.

Ce faubourg relie le territoire de la république à la ville prussienne d’Altona. Les trois villes soudées par de longues rues communes, Hambourg, Saint-Paul, Altona, forment aujourd’hui une agglomération continue, peuplée par plus d’un million d’habitans. Sur les falaises qui dominent l’Elbe au-delà d’Altona, la route court entre d’opulentes maisons de campagne, renommées pour leurs beaux parcs. J’avise une de ces maisons, plus simple que les autres ; elle me frappe par sa mine de vieux logis français, avec ses orangers en caisse alignés devant un péristyle. Je m’informe : cet air de chez nous lui est resté d’un locataire qui s’appelait Davout, et qui demeurait ici lorsqu’il commandait la ville impériale de Hambourg. Des restaurans achalandés bordent plus loin la route ; de leurs terrasses, on voit le panorama du port et du fleuve, la fuite des navires à l’horizon : le promeneur y ingurgite sa bière en regardant passer au-dessous de lui la fortune de l’Allemagne.

La crue torrentielle de cette fortune a noyé dans Hambourg presque tous les vestiges du passé. Les fervens de l’art ancien trouvent quelques consolations au Musée, devant les tableaux d’un vieux maître hambourgeois, Franke, qui portraiturait ses contemporains dans une suite de scènes bibliques au commencement du XVe siècle. Ces toiles peu connues ont été exhumées de la résidence grand-ducale de Schwerin ; le zèle du conservateur de la Kunsthalle en a négocié l’acquisition. On lui doit la révélation d’un peintre qui mérite, par la vérité de son réalisme et l’éclat de son coloris, une des premières places parmi les précurseurs de la grande école allemande. J’ai vu aussi, dans la galerie d’un riche particulier, des nitrates du Chili transformés en bons tableaux de l’Italie et des Flandres. Mais le goût de la beauté pure est ici moins répandu que le souci de l’utile et la recherche du pompeux. Tous les monumens publics ont été reconstruits à la mesure de la nouvelle cité ; l’Hôtel de Ville avec magnificence, dans ce style de la Renaissance allemande qui veut rester fidèle aux directions des ancêtres, qui en altère le