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fixité d’une syntaxe, pas encore tout à fait achevée, que la logique et la raison vont se charger de simplifier, précisément en vue de l’immobiliser. Car « la raison » approuve également deux choses : la création de mots nouveaux pour exprimer des idées nouvelles, sous la seule condition que ces mots soient « rationnellement » composés : Capucinade de capucin, Baladinage de baladin : Emmagasinement d’emmagasiner, Protégement de protéger, etc., et d’un autre côté, elle approuve la fixation de la syntaxe par élimination de toutes les « façons de parler » qui ne seront pas démontrées être conformes à la logique. De telle sorte que, tandis que d’une part, — et notamment au cours de la période révolutionnaire, — l’invasion du néologisme semble absolument dénaturer le caractère de la langue, le mouvement n’agit cependant qu’à la surface, et, grâce à la fixation de la syntaxe, la langue, en réalité, s’immobilise. Sa « transformation » consiste à s’interdire les moyens de se « transformer. » Son idéal, conformément à ce que Condillac appelle le principe de « la plus grande liaison des idées, » devient de « réduire un ouvrage au plus petit nombre de chapitres, les chapitres au plus petit nombre d’articles, les articles au plus petit nombre de phrases, et les phrases au plus petit nombre de mots. » En conséquence de quoi, tout le monde écrira de la même manière ! Quand on lira du Marmontel, on pourra croire qu’on lit du La Harpe ; on pourra croire qu’on lit du Marmontel quand on lira du Morellet ; et, au fait, on lira du Morellet quand on lira du Ginguené. C’est maintenant de la profondeur, et de quelques conséquences de cette transformation que nous voudrions dire quelques mots.


V

Il ne semble pas que la transformation ait été très profonde ; — et je conviens qu’à ce propos nous devrions peut-être, et avant tout, essayer de dire comment et par quels moyens on mesure la profondeur de la transformation d’une langue. C’est même la réponse que M. Gohin pourrait opposer aux objections que nous lui avons faites sur le titre de son livre : Les Transformations de la Langue française pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Et, en effet, la transformation la plus profonde étant celle qui, d’une langue, en dégage une autre, le français, par exemple, ou l’italien du latin, ne pourrait-on pas dire que la plus