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Philosophes, je laisse volontiers les Puristes courir après les mots[1]. » Il n’était pas alors brouillé avec les Philosophes. Il écrivait vingt ans plus tard, dans le préambule de ses Confessions : « Si je veux faire un ouvrage écrit avec soin, comme les autres, je me farderai… Je prends donc mon parti sur le style comme sur les choses. Je ne m’attacherai point à le rendre uniforme, j’aurai toujours celui qui me viendra ; j’en changerai selon mon humeur, sans scrupule ; je dirai chaque chose comme je la sens, comme je la vois, sans recherche, sans m’embarrasser de la bigarrure… mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt grave et tantôt gai, tantôt sage et tantôt fou, fera lui-même partie de mon histoire[2]. » Dirons-nous là-dessus qu’au « style apprêté qui masque les choses, Rousseau préfère un style franc et sincère ?… » Nous le dirons, si M. Gohin le veut et pour lui faire plaisir, en nous bornant à lui rappeler que V. Cousin, qui s’y connaissait, en artifices de langage, voyait justement, lui, dans le style de Rousseau, le modèle d’un style « fardé. » Mais nous ferons observer que, contre les grammairiens qui veulent enchaîner l’écrivain sous la contrainte de leurs règles, ce que Rousseau revendique, c’est la liberté qui était avant eux celle de l’écrivain. Ne le dit-il pas textuellement, dans son Emile, — et c’est à M. François maintenant que j’emprunte la citation : — « qu’il ne connaît d’autres règles pour bien écrire que les ouvrages qui sont bien écrits ? » En réalité, la distinction dont il refuse expressément de tenir compte, c’est celle qu’on a établie depuis peu entre la « langue écrite » et la « langue parlée. » Contre les Gamache et les d’Olivet, les Bellegarde et les d’Açarq, il prétend, lui, qu’elles ne sont qu’une, ou, si elles sont deux, il estime, avec Vaugelas, que c’est la parole qui doit régir l’écriture. Et je ne sais d’ailleurs si c’est pour cela qu’il ressuscite, en quelque sorte, la tradition de la langue oratoire du siècle précédent, mais c’est par lui, et avec lui, c’est grâce à sa résistance aux prétentions des grammairiens que la langue n’est pas devenue, entre 1700 et 1780,

  1. Ce Rousseau fait tant d’affaires, à propos de tout et de rien, et il a parfois des titres si longs qu’on ne peut les faire entrer commodément dans une phrase. Le passage que nous citons, après M. Gohin, est tiré de la note 3 des six pages intitulées : de la Lettre de Jean-Jacques Rousseau sur une nouvelle réfutation de son Discours par un académicien de Dijon.
  2. On ne cherchera pas ce préambule dans les éditions usuelles des Confessions. Il n’a paru pour la première fois qu’en 1850, dans la Revue Suisse, d’après le manuscrit de la bibliothèque de Neuchâtel.