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que des peigneurs de laine, des tisserands et des dévideuses de trames, tous les ouvriers travaillent chez eux ; mais dans la ville tous les autres sont employés chez des fabricans ou bien chez des entrepreneurs. Je dis chez des entrepreneurs ; car celui qui achète des laines et en fait fabriquer des étoiles ne fait pas toujours laver, teindre, filer dans ses ateliers, ni même donner chez lui, aux étoffes que les tisseurs lui rapportent, toutes les façons ou tous les apprêts qu’elles doivent recevoir avant d’être livrées au commerce ; il a recours à des entrepreneurs particuliers pour chacune de ces opérations[1]. »

L’originalité de l’industrie lyonnaise, en ce point, est donc d’avoir conservé, sous le régime de l’industrie concentrée, les procédés de l’industrie dispersée ; dans l’usine, les coutumes du petit atelier. Mais elle est trop hautement et hardiment intelligente, trop novatrice et initiatrice quand il le faut, pour l’avoir fait sans de bonnes raisons. « Les fabricans lyonnais, habitués de longue date à s’affranchir du souci d’un matériel industriel, trouvent dans cette constitution originale qui survit aux petits ateliers les avantages de la grande manufacture et en même temps une liberté d’allures précieuse pour une industrie dépendante de tous les caprices de la mode[2]. » Et en même temps, devrait-on sans doute ajouter encore, elle y trouve un moyen de maintenir la tradition, dans une industrie qui est un art et qui, du moins pour le beau, depuis le XVe et le XVIe siècle, depuis la Renaissance italienne, a beaucoup plus à imiter qu’à inventer. Quoi qu’il en soit, originale ou non, et peut-être un peu moins que le patriotisme local ne l’imagine, telle est l’organisation du travail dans la région lyonnaise : transition ou transaction entre autrefois et aujourd’hui, entre le système de la petite et le système de la grande industrie.

« L’étranger curieux » qui, de ce qu’il aurait vu, — ou plutôt de ce qu’il n’aurait pas vu, — se hâterait de conclure que l’industrie de la soie est « restée rebelle, » radicalement et invariablement, à toute pratique de la grande industrie, qu’elle existe toujours et n’existe encore qu’à l’état de petits ateliers, celui-là, vraiment, en porterait un jugement trop sommaire, et contribuerait pour sa part à répandre « une légende, » très accréditée au dehors, mais qui n’est pourtant qu’une légende. « Si

  1. Villermé, Etat physique et moral des ouvriers, I, 220.
  2. La Fabrique lyonnaise, p. 25.