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homme. Ces vicissitudes dramatiques ont fait autant que la fortune finale pour donner un caractère d’exception au premier empereur allemand ; de là vient qu’à peine refroidi, il rejoint dans les prestiges séculaires Barberousse et Charlemagne ; lui et ses paladins, Moltke, Bismarck.

Il y a trente ans, quand on apercevait de loin, dans une petite ville d’Allemagne, la silhouette d’une statue, on ne risquait guère de se tromper en disant : C’est quelque savant professeur, un philosophe, un musicien. Aujourd’hui, c’est l’un des trois fondateurs de l’unité. À défaut de leurs obsédantes effigies, les noms des trois nouveaux dieux frappent le regard sur les nouvelles avenues qu’ils baptisent dans toutes les villes. Chez nous, par-delà les vieilles rues qui portent encore les noms de Napoléon et de ses maréchaux, les voies récentes sont dédiées à Gambetta, à Victor Hugo, à Pasteur ; à l’éloquence, à la poésie, à la science. Dans le nouvel empire, le sceau visible de la communauté nationale est imprimé sur le pays par un fait historique et militaire, la fondation de l’unité, par les hommes d’action qui en furent les artisans. Différence caractéristique entre les deux peuples qui ont changé d’idéal.

Les portraits du petit-fils de Guillaume Ier accrochent à chaque pas le regard du promeneur. Aux vitrines des marchands d’estampes, une grande chromolithographie le représente sous un suroît de matelot, la main sur la barre d’un gouvernail, avec cette légende : « Unser Steuermann, — Notre pilote. » Il m’a paru que l’empereur régnant était populaire à Hambourg. Ce monde de marins et de commerçans lui sait gré du dessein obstiné qui persiste sous la mobilité d’autres desseins variables : maîtriser la mer, y développer le commerce. À ce lien de gratitude raisonnée pour l’auguste collaborateur vient s’ajouter une fascination subie par ceux-là mêmes qu’il contente le moins. Une petite observation : elle n’est pas spéciale à Hambourg, on peut la faire dans toute l’Allemagne ; du même geste fréquent et machinal, le jeune élégant que l’on croise dans la rue, le garçon de café qui vous sert tirent sur leur moustache, s’efforcent de la relever en crocs anguleux, de la conformer au modèle popularisé par l’image. Remarque puérile, dira-t-on ; non : ce geste témoigne d’une hantise habituelle ; copier une mode, c’est accepter une domination. Les républicains de Hambourg sont fiers d’être dans l’empire, fiers de leur empereur, du tapage flatteur que