plus ; l’enfant terrible est devenu un enfant gâté. On se demande seulement si c’est de l’humour anglais ou de la gaîté irlandaise (M. Shaw est natif de l’Ile-sœur). Je ne prétends pas trancher là-dessus. En français, si l’on me permet de descendre, pour un instant, à des expressions qui ne sont pas dans les mœurs de cette revue, c’est une « blague infernale. » Cette bonne humeur agressive, ce perpétuel manque de respect à tout ce qui existe, ce pessimisme qui n’épargne rien ni personne, mais qui devient un imperturbable optimisme lorsque l’auteur parle de lui-même, sont probablement choses innées chez M. Bernard Shaw ; mais rien n’était plus propre à développer en lui cet étrange état d’esprit que ses vingt années de servitude dans la presse, au cours desquelles il lui a fallu analyser des niaiseries, parler sérieusement de choses qui ne sont pas sérieuses, écrire sa pensée à lui trop souvent sur la marge étroite de la pensée d’un sot. Ces horribles besognes, lorsqu’elles n’aboutissent pas à l’asphyxie intellectuelle, amènent forcément une réaction, une explosion Le talent de M. Bernard Shaw est une de ces explosions.
Avant d’aborder le théâtre de M. Shaw, je voudrais m’arrêter un moment devant le critique dramatique, dans l’espoir qu’il nous apprendra quelque chose sur les idées de l’auteur concernant l’art du théâtre. De sorte qu’avant de voir ce qu’il a fait, nous saurons ce qu’il a voulu faire. Pour ne pas nous attarder aux bagatelles, donnons-lui la parole sur Ibsen et sur Shakspeare.
D’abord Ibsen. C’était il y a une douzaine d’années. Un petit groupe enthousiaste cherchait à populariser en Angleterre les œuvres du dramaturge norvégien, et cette tentative rencontrait la plus violente opposition. Après certaine représentation des Revenans, il y eut un débordement d’injures sans précédent. M. Bernard Shaw ne perdit pas cette magnifique occasion d’être en désaccord avec l’opinion générale. Il donna une conférence sur Ibsen à l’une des soirées de la Fabian Society. Après avoir fait sa conférence, M. Bernard Shaw étudia le sujet, étendit son travail ; le résultat fut un mince volume que je lus alors et que