perdu dans l’opération les trois quarts de sa puissance dramatique et la moitié de sa philosophie.
M. Bernard Shaw nous a livré, à plusieurs reprises, sa pensée sur Shakspeare. D’abord, dans certaine préface mise en tête d’une de ses pièces, The Admirable Bashville. Il avait tiré cette pièce d’un de ses propres romans The Profession of Cashel Byron, lequel avait obtenu peu de succès, et rien ne caractérise mieux M. Bernard Shaw que cette persistance railleuse à offrir au public, sous une forme légèrement différente, le régal littéraire dont il ne s’est pas soucié : « Ah ! tu n’en veux pas ?… lié bien, tu l’avaleras quand même ! » La pièce était écrite en vers blancs : sur quoi M. Shaw saisit l’occasion de faire une conférence sur les origines, le progrès et la décadence du vers blanc. Cette rigmarole produit un effet assez agréable chez Kyd, chez Greene et chez Shakspeare lui-même « jusqu’aux drames historiques. » A partir de ce moment, le vers de ce pauvre Shakspeare ne vaut plus rien ; il retrouve seulement une certaine grâce dans quelques parties de la Tempête, notamment dans les rôles d’Ariel et de Caliban. A ce propos, M. Shaw passe en revue toute la pléiade. Il remarque que Marlowe n’a jamais écrit une mighty line, quoi qu’en dise le trop flatteur Ben Jonson. Les vers du dit Jonson ne sont que de la prose. Chapman est un pédant et Webster un dramaturge de cour d’assises. Heywood aurait pu faire quelque chose si… Enfin, c’est un massacre, auquel n’échappe aucun des contemporains et des successeurs de Shakspeare. Après quoi, M. Bernard Shaw paraît soulagé et redevient très bon enfant, tout prêt à pardonner à Shakspeare et à son groupe le bruit qu’ils ont fait dans le monde. Tout de même il nous présente sa rigmarole pour nous faire voir comme il est facile d’écrire en vers quand on a du génie. Oronte n’avait mis qu’un quart d’heure à composer son sonnet. M. Bernard Shaw n’a employé que quinze jours à écrire sa pièce. Oserai-je lui dire qu’Alceste, s’il avait été Anglais, n’eût pas hésité à reléguer The Admirable Bashville là où il envoyait le sonnet à Philis. Les vers blancs de M. Shaw ne me semblent pas très supérieurs à ceux des pantomimes de Christmas. C’est le même procédé qui consiste à donner un choc à l’esprit en traduisant l’extrême platitude de la vie moderne sous une forme idyllique ou héroïque.
M. Bernard Shaw est revenu à la critique de Shakspeare dans