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Mais j’aime mieux laisser l’angoisse qui m’oppresse
Emplir mon cœur plaintif et mon esprit troublé,
Et pleurer de regret, d’attente et détresse,
Et d’un obscur tourment que rien n’a consolé ;

Car ni le pur parfum des roses sur le sable,
Ni la douceur du vent, ni la beauté du ciel,
N’apaise mon désir avide et misérable
Que tout ne soit pas vain dans le temps éternel.


LE SACRIFICE


Agamemnon, ton noir chagrin pleure en tes yeux
L’oracle du Devin et le décret des Dieux,
Et c’est ton sang déjà qui coule dans tes larmes.
La pourpre du couchant rougit tes belles armes,
Et ton grand bouclier éclatant et vermeil
Reflète la couleur et l’orbe du soleil,
Quand tu marches, le long de la mer, sur le sable,
Le front baissé, en proie au tourment mémorable
Qui partage ton cœur incertain, déchiré
Par un double devoir également sacré,
Lutte impie où le Roi combat contre le Père…
Je t’ai revu souvent sur cette grève amère,
Malheureux ! J’ai pensé souvent que ton Destin
Fut pareil à celui du Poète qu’étreint
Un semblable désir d’orgueil et de victoire :
Il livre, comme toi, en offrande à la gloire
Pour contenter l’oracle et pour fléchir les Dieux,
Tandis que d’acres pleurs brûlent ses tristes yeux,
Sa jeunesse éperdue et qui tout bas l’implore,
Et qui craint de mourir et qui veut vivre encore,
Et dont la tendre chair se révolte en pensant,
Hélas ! au vain laurier que va payer son sang,
Et qu’implacablement immole un dur génie
Sur l’autel où jadis mourut Iphigénie.