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nous n’osons pas dire le progrès des mœurs publiques, les fonctionnaires n’ont pas tardé à se demander s’ils ne pouvaient pas, eux aussi, s’emparer de la loi de 1884 pour faire des syndicats, et il était facile de prévoir que, lorsque ce droit leur aurait été reconnu, l’imitation de ce qui se passe dans la classe ouvrière irait, un jour ou l’autre, jusqu’au bout : on aurait des grèves de fonctionnaires comme on a des grèves d’ouvriers. M. Rouvier s’en rend fort bien compte. Tous les hommes de gouvernement le prévoient avec lui. Tous ont refusé et refusent aux fonctionnaires le droit de se syndiquer, mais les socialistes et les radicaux-socialistes le leur attribuent. De là le conflit qui s’est élevé, le 7 novembre, entre le ministère et l’opposition. Ce qui rend un peu faible, il faut l’avouer, la ligne de défense du premier, c’est qu’elle a été depuis longtemps entamée sur certains points, et c’est aussi que la loi de 1901 sur les associations a rendu la contestation un peu vaine. — Ne vous syndiquez-pas, conseille le gouvernement aux fonctionnaires ; associez-vous. — Malgré ce que nous avons dit plus haut de la séduction qui s’attache au terme de syndicat, on a quelque peine à comprendre pourquoi les fonctionnaires ne prennent pas le gouvernement au mot, car syndicat ou association, c’est la même chose. M. le président du Conseil, pour justifier sa distinction, a dit qu’un syndical pouvait conduire à une grève, tandis qu’une association ne le pouvait pas. Nous avouons modestement que, plus nous y avons réfléchi, moins il nous a été possible d’en comprendre le motif. Si les associations n’ont pas encore produit de grèves, c’est parce que la loi qui les autorise ne date que de quatre ans, et aussi parce que les syndicats professionnels ont continué de jouir d’une faveur plus grande. Il n’y a d’ailleurs pas entre eux d’autre différence.

On a fait des distinctions entre les fonctionnaires. Il y en a qui sont de simples ouvriers, ce qui est inévitable dans une organisation politique et sociale où l’État est lui-même un grand industriel. M. Rouvier a dit le 7 novembre à la Chambre que, depuis plusieurs années déjà, il avait reconnu lui-même aux ouvriers des manufactures de l’État, des manufactures de tabac notamment, le droit de se syndiquer et de se mettre en grève. Voilà une première brèche au principe que la loi de 1884 ne s’applique pas aux employés de l’État. Mais si elle s’applique à quelques-uns, pourquoi ne s’appliquerait-elle pas à d’autres ? pourquoi ne s’appliquerait-elle pas à tous ? On a dit que les ouvriers des ateliers militaires de l’État, des manufactures d’armes, des arsenaux, ne pouvaient pas en user. Ce n’est pas l’avis des ouvriers maritimes : ils entendent profiter du droit commun.