directement du cru bordelais au Rathauskeller. À chaque pas qu’il fait dans la ville, le visiteur rencontre des maisons respectées par le temps, ornées à l’intérieur de boiseries du plus beau travail. Dans les églises, il trouve une mine inexplorée d’objets d’art, tableaux des vieux maîtres de la Haute Allemagne, chefs-d’œuvre commandés jadis dans les Flandres, comme le dessus d’autel de Memling dont s’enorgueillit le Dôme. La seule Marienkirche occuperait durant plusieurs jours le connaisseur qui voudrait en inventorier les trésors, peintures du jubé, retables, sculptures de bois et de marbre, plaques tombales d’un métal finement buriné.
Je ne tenterai pas une de ces descriptions d’autant plus fastidieuses qu’elles sont plus sommaires ; catalogue de musées que le lecteur n’a pas vus. Il aime avec raison, qu’on lui parle des œuvres d’art qu’il connaît : c’est le ramener chez des amis ; il ne se soucie pas de ces présentations rapides où l’on fait défiler devant lui des inconnus. Lübeck mériterait mieux : une monographie détaillée qui n’a pas été faite chez nous, que je sache, et où quelque Fromentin révélerait le charme de cette Bruges du Nord. L’évocation de Bruges peut seule donner une idée approchée de Lübeck : même physionomie conventuelle, — l’Asile des vieillards vaut les béguinages, — même douceur recueillie, mêmes richesses artistiques, et du même caractère. Autant que sa sœur flamande, la recluse hanséatique devrait attirer et retenir les touristes. Je me suis promis d’y revenir ; je n’ai pu que la saluer, au cours de ce voyage qui avait un autre objet : l’examen de l’Allemagne nouvelle, transformée par l’action et la fortune, grosse des problèmes d’aujourd’hui et de demain. J’ai respiré un instant l’ancien parfum de Lübeck, comme le moissonneur se penche, en bottelant ses gerbes, sur un bluet épargné par la faux, blotti sous les grands épis qui cachaient cette fleur ignorée.
L’Allemagne nouvelle, je l’ai retrouvée à Berlin, ville méconnaissable pour ses vieux habitans ; changée de figure, avec la pléthore de ses longues rues neuves qui enclavent le Tiergarten, poussent jusqu’à Charlottenbourg, dévorent la campagne comme un troupeau en marche, y jettent chaque mois de gros paquets d’immeubles aussitôt loués ; changée d’âme, avec la vie de plaisir et de dépense qui écume le soir tout le long de la Friedrichstrasse, dans les restaurans, sur les trottoirs, et y