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secondes, malheureusement, sont mauvaises, et il faut s’attendre à ce qu’elles le restent encore quelque temps, car le mouvement qu’on a déchaîné n’est pas de ceux qu’une baguette magique, quelque puissante qu’elle soit, puisse arrêter comme par enchantement. Si toutefois on était juste, on reconnaîtrait, en Russie comme ailleurs, que l’empereur Nicolas a fait, en quelques jours, des concessions telles, qu’il n’est plus permis démettre en doute sa sincérité. Il s’est engagé à fond dans les voies libérales, à regret peut-être, — comment un homme n’éprouverait-il aucun regret en se dépouillant lui-même d’une partie de ses pouvoirs ? — mais avec une intelligence résignée et ferme de ce que la situation lui impose de renoncement et d’abnégation. Les faits parlent si haut et si clair qu’il faut bien faire des sacrifices. Cependant, il est douteux qu’un autre souverain, élevé comme l’a été l’empereur Nicolas et ayant exercé comme lui une autorité absolue, sans limites et sans contrôle, aurait accepté aussi vite et aussi loyalement la loi de la nécessité. Le manifeste du 31 octobre contenait des promesses libérales dont on pouvait craindre, sans être taxé d’un scepticisme excessif, qu’elles ne fussent que des promesses ajoutées à tant d’autres ; mais aussitôt après l’avoir publié, l’empereur a prouvé par des actes décisifs que sa résolution était prise, et qu’il y avait vraiment en Russie quelque chose de changé. Sans doute, on constate, on constatera encore des hésitations et des tâtonnemens ; mais, d’abord, ils ne sont plus imputables à l’empereur, ou du moins à lui seul, puisqu’il a investi le comte Witte de pouvoirs très réels ; ensuite, quels que soient la bonne volonté du souverain et les mérites du ministre, ce serait un miracle sans précédent s’ils trouvaient l’un et l’autre du premier coup la meilleure solution de difficultés si lourdes que des épaules humaines semblent devoir en être écrasées. L’histoire montre qu’une génération expie souvent les fautes de celles qui l’ont précédée, et que des responsabilités lointaines s’accumulent et se concentrent parfois sur quelques têtes innocentes ; mais cela n’est ni équitable, ni vraiment humain, et il l’est bien plus de rendre à chacun ce qui lui revient en personne dans l’œuvre à laquelle il a pris part, à l’heure à laquelle il y est entré.

Tout jugement sur M. Witte serait prématuré : c’est à peine s’il vient de mettre la main à sa tâche. Cependant, dès aujourd’hui, on peut signaler et on doit peut-être admirer le courage tranquille avec lequel il fait face à tant de dangers. Chargé de former un ministère, il s’est adressé d’abord, pour solliciter leur concours, aux hommes le plus en vue du parti libéral constitutionnel ; mais il n’a