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revue des deux mondes.

Quand Tigrane dut quitter en hâte Constantinople après la journée du 26 avril 1896 et qu’il vint à Paris m’apporter ses ardentes excitations, il s’arrêta en route à Athènes. Il y fit une conférence. Sur cette terre favorable, il donnait enfin leur vol aux pensées qui depuis trois années multipliaient et s’étouffaient en lui. Son succès fut immense. Les Athéniens reconnurent le délégué d’une nation marchande, en même temps qu’un esprit formé par la discipline de l’hellénisme, c’est-à-dire chez qui l’enthousiasme ne nuit pas à la mesure ni à l’habileté.

J’ai sous les yeux le manuscrit de son discours. J’y goûte le mélange d’un accent héroïque et d’une argumentation réaliste. J’aime surtout l’élasticité de cette âme courageuse qui trouvait dans tous les malheurs une raison de se dresser.

On ne peut lire sans amitié les lettres que Tigrane écrivait d’Athènes à sa mère demeurée à Constantinople.

30 septembre 1896.

« Je vais prolonger mon séjour jusqu’au 10 octobre et peut-être un peu plus en donnant des articles aux journaux. La presse grecque m’a fait un excellent accueil. La vie d’ailleurs est ici très facile. Une pièce de vingt francs vaut trente-cinq francs grecs. Je vais donner ma conférence samedi soir. La manifestation aura lieu le lendemain, après le service religieux. Nous honorerons d’abord le monument Byron, et nous irons ensuite saluer celui du patriarche Grégoire, pendu par les Turcs au Phanar. Je me sens vivifié par la vue des ruines que j’ai aimées depuis mon enfance et par la saine énergie des sentimens qui animent le peuple d’Athènes. Je pense à toi en mangeant le raisin de l’Attique dont les grappes sont longues, extrêmement sucrées, à la peau dure, ou bien cette autre espèce de raisins qui s’appelle « la mamelle d’Aphrodite » et qui est rose. Si tu n’as pas encore envoyé à Paris mes ordonnances de pharmacie, adresse-les-moi ici… »

1er dimanche d’octobre 1896.

« Ma chère mère, je viens de recevoir enfin ta lettre. Me voilà content. Je l’attendais avec anxiété. Elle me surprend au milieu du plus grand désordre. Toute la matinée j’ai été occupé à dicter et à recopier mon discours dont le texte entier et des