même cri de tristesse et de douceur lui répondit et, déployant sa crête superbe, la huppe vint délicatement goûter au hachis cru dont Lorinka plus glouton eut sa large part et dont les pies anarchistes firent en sorte de dérober les meilleurs morceaux. Puis Sophie Paulowna s’amusa longuement à nourrir de fines tranches de pastèque, qu’elle lui tendait du bout des doigts, Douchinka, un hérisson en bas âge dérobé au nid maternel sous la haie du jardin. Ses piquans étaient encore doux comme de la soie, sa petite figure porcine s’allongeait avec confiance vers la pastèque, il avait une façon de se soulever sur les pattes de derrière qui annonçait au gré de sa maîtresse des dispositions chorégraphiques. Comme il exécutait innocemment ses exercices au milieu de la table où chantait le samovar, je ne laissais pas de craindre pour lui une attaque subite de Knopka ou de Goronka qui suivaient ses ébats la paupière mi-close ; mais elles songeaient plutôt à dormir, gorgées de laitage et blotties ensemble dans l’ample giron de leur maîtresse. A celle-ci l’une des deux chattes était tendrement attachée, la suivant dans ses promenades, dormant à sa porte comme un chien fidèle ; l’autre était jalouse et méchante, mais la faveur de Sophie Paulowna pleuvait également sur le juste et sur l’injuste. La pauvre Knopka n’était-elle pas suffisamment punie par la noirceur de son âme envieuse qui certainement devait la faire souffrir ? Tous nos défauts ne sont en somme que des maladies qu’il faut plaindre.
Elle raisonnait de même à l’égard de ses serviteurs et des paysans qui ne manquaient pas d’en abuser. Paresseux, menteurs, ivrognes, beaucoup d’entre eux étaient capables en outre de quelques larcins.
— Est-ce bien leur faute ? disait-elle, en soupirant. Le servage a laissé des traces. Le maître est responsable des vices de l’esclave.
Sophie Paulowna est la plus douce, la plus idéaliste des révolutionnaires, éprise de paix et d’égalité avant tout, possédée d’un rêve de félicité pastorale dont la réalisation rendrait un jour envieux de sa chère Russie l’Occident perdu par de fausses ambitions. Son tolstoïsme limité consiste à estimer l’état d’âme des paysans comme le meilleur qui existe, à souhaiter que nous y soyons tous réduits. Elle ne va pas cependant jusqu’à vouloir brûler les livres ; elle subvient même sur ses terres aux frais d’une petite école, ne se piquant pas de logique excessive. Dans le