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armes, tes trésors. Je suis venue te le dire : j’ai tardé ainsi parce que… parce que je voulais te préparer. Mais tu as ma parole. Donc tu es libre.

— Et à quelle condition ? interrogea Rhuys.

— Aucune, répondit fièrement Ahès. Est-ce un marché ? Le roi et moi nous donnons, nous ne vendons pas.

— Et tu me diras : « Pars ! »

Quelle lumière passe donc sur le visage de celles qui aiment ? Quelle réponse, lorsque leurs paupières restent closes ? Ce fut au tour de Rhuys de faiblir. Jusqu’ici son orgueil d’homme avait fermé ses lèvres. Il avait pu se taire tant qu’il était prisonnier. Mais puisque la parole royale était donnée, puisqu’il était l’égal, il fallait qu’il sût. Hélas ! depuis le jour où le regard superbe s’était posé sur lui, il vivait le rêve que les belles mortes lui murmuraient la nuit, au bercement des vagues. Et Ahès n’était-elle pas l’une d’entre elles, dans sa pâleur tragique, dans sa robe de pourpre qu’une blessure invisible semblait teindre toujours ? Et ainsi, comme hors de lui-même, flottant, à demi inconscient entre la réalité et le songe, il reprit :

— Tu pourrais dire : « Pars ! » Et moi, quand je serai libre ; quand la terre s’ouvrira devant mes pas ; quand, de nouveau, je me sentirai assez vivant, assez fort, pour braver même la chute des cieux sur ma tête… Alors, si je te disais : « Viens !… »

Les grands yeux s’ouvrirent dans un inexprimable regard. Ahès demeura cependant immobile, les mains croisées, dans une attitude de pudeur royale, comme se recueillant en elle-même pour le mot éternel.

— Je viendrais, dit-elle.

Et ainsi leurs âmes furent scellées. Dans ces âmes aux paroles rares, des mots si simples étaient un serment. Et comme le chantait leur barde : « Sur la colline, de la cime joyeuse du chêne ils entendaient descendre une voix d’oiseau… »

Cependant il fallait se séparer. Il fallait rompre ce silence devant lequel tous les mots leur semblaient trop petits. Rhuys le premier parla :

— Regarde, dit-il. Par le soupirail de ma prison je vois les fenêtres, là-haut, où ton ombre se dessine souvent, où tu te penches quelquefois. Mes heures se passent à attendre ces instans rapides.

— Il y a longtemps ? demanda-t-elle