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et, de son vrai nom, s’appelait van Eycken. Avant d’obtenir le titre d’envoyé de Bavière, en 1761, il avait longtemps représenté à Paris un très petit prince, l’évêque de Liège, fils de l’électeur bavarois Max-Emmanuel ; et c’était seulement en 1759 que, ayant été créé comte du Saint-Empire, M. van Eycken était devenu « le comte d’Eyck. » Intrigant, menteur, résolu à faire fortune par tous les moyens, ses contemporains s’accordaient assez généralement à le mépriser. Et aujourd’hui, s’il n’avait pas eu l’honneur d’accueillir chez lui le petit Mozart, son nom ne nous serait plus connu que par cette amusante épigramme de Rulhière :


LES DEUX COQUINS
Un coquin à qui l’on fit grâce
Était au carcan sur la place.
« Il a de l’esprit ! » disait-on.
Mais un quidam répondit : « Non !
Regardez sa sottise insigne :
S’il en avait, serait-il là ? »
Comme il parlait, van Eyck passa.
« Tenez, — en le montrant d’un signe, —
Un homme d’esprit, le voilà ! »

La recommandation d’un tel protecteur n’était guère faite pour ouvrir aux deux enfans prodiges les salons de Versailles, ni même, à Paris, ceux des grandes familles françaises ou étrangères. Mais Léopold Mozart était amplement pourvu d’autres recommandations, obtenues à Salzbourg, avant son départ, et dans les divers endroits où il s’était arrêté. Pareil à maint client de l’hôtel de Beauvais, il apportait à Paris les sentimens fiévreux d’un joueur qui a résolu de risquer toute sa chance sur un seul coup de dés : il voulait que ce séjour assurât définitivement sa fortune, et il n’y avait pas de démarche où il ne fût prêt pour aider au succès de son entreprise. Matin et soir, il courait la ville, d’un quartier à l’autre. Au Temple, à l’ambassade d’Autriche, à l’Hôtel d’Aiguillon, chez toute sorte de hauts personnages, il déposait avec respect ses lettres d’introduction, attendait dans les antichambres, sollicitait la faveur des intendans et des valets de pied. Paris, évidemment, ne l’intéressait qu’au point de vue de la conquête qu’il se préparait à en faire : et l’on ne s’étonne pas que, n’ayant le loisir d’y rien voir, il n’ait pas eu non plus celui d’en rien décrire à ses fidèles amis salzbourgeois.