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témoignages de ceux qui l’ont approché s’accordent là-dessus ; et l’un de ces témoignages est à la fois si typique et si amusant que, bien qu’il soit d’une date un peu postérieure au séjour de Paris, je ne résiste pas au désir de le citer tout de suite. À Londres, en juin 1765, le célèbre naturaliste Daines Barrington a soumis le petit Wolfgang à un long examen, dont il a consigné tous les détails dans le recueil des Philosophical Transactions : il l’a interrogé sur l’harmonie et le contrepoint, lui a fait déchiffrer plusieurs morceaux difficiles, lui a donné à mettre en musique divers chants italiens où, avec une sûreté merveilleuse, le bambin a su adapter le rythme et l’expression qui leur convenaient. Mais, au milieu de cette grave séance, un incident s’est produit que Barrington nous raconte ainsi : « À un moment où le petit garçon était en train d’improviser devant moi, mon chat favori est entré, par hasard, dans la chambre : aussitôt voici notre compositeur qui s’échappe du clavecin pour aller jouer avec lui ; et longtemps il nous a été impossible de le rappeler. » L’histoire de ce chat, je voudrais pouvoir la répéter en marge de toutes les pages du récit qui va suivre. Mieux que les plus savantes dissertations des musicographes, c’est elle qui nous permet de comprendre la vraie physionomie et le vrai caractère d’un enfant toujours riant, gambadant, et le cœur en fête, de cet enfant dont un autre témoin nous dit qu’il « rassurait, par sa gaîté, contre la crainte qu’un fruit si précoce n’eût pas le temps de mûrir. »

Que l’on se figure donc l’enchantement qu’a dû être, pour lui, chacune de ses promenades sur les Boulevards ! Depuis la Porte du Temple jusqu’aux Filles du Calvaire, aux deux côtés de la large avenue, ce n’étaient que théâtres, cirques, ménageries, cabinets magiques, entremêlés de cafés où de petits orchestres jouaient des « symphonies. » Mais, au reste, l’avenue tout entière rayonnait de musique : chansons, sérénades, fanfares, accompagnant les pirouettes des pitres, ou servant d’intermèdes aux doctes harangues des marchands d’élixir. Et, dans cette atmosphère chantante, combien de beaux spectacles pour divertir les yeux et le cœur du petit garçon ! Il y avait par exemple sur les Boulevards, cet hiver-là, une troupe italienne de plus de vingt enfans, danseurs et sauteurs de corde ; il y avait un certain Festi qui, entre autres prodiges de la nature, exhibait le squelette d’une baleine et un dromadaire vivant ; il y avait le fameux Comus, qui, par des expériences vraiment à peine croyables, mettait à la