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traduit tout ce que disait notre petit héros. C’était moi qui me tenais près de lui ; ma femme et ma fille étaient placées de l’autre côté du Roi, derrière Monsieur le Dauphin et Madame Adélaïde. Or vous saurez que, les jours de fête, Nouvelle Année, Pâques, Pentecôte, anniversaires, etc., il y a ce qu’on appelle un Grand Couvert, où peuvent assister tous les gens de distinction ; mais la salle n’est pas grande, et, par suite, a vite fait d’être pleine. Nous sommes arrivés tard ; de telle sorte qu’on a dû nous faire faire place par les Suisses, et l’on nous a conduits jusque dans une pièce toute voisine de la salle du Grand Couvert, par où doit passer la famille royale. C’est là, au passage, que celle-ci a causé avec notre Wolfgang : après quoi nous l’avons suivie jusqu’auprès de la table.


Nous pouvons bien croire, en effet, que la vue de ce Grand Couvert, le salut obligatoire à la Nef d’Argent, la distribution de serviettes neuves à chaque couvert, les diverses formalités de prêt des viandes, que tout cela a dû amuser infiniment le petit Mozart : à moins toutefois qu’au secret de son cœur il n’y ait encore préféré ces dîners, plus modestes, de la Résidence de Salzbourg, où, sous la conduite de monsieur son papa, les musiciens de la chapelle archiépiscopale exécutaient l’une des belles cassations de M. Eberlin. Et il me plaît fort, aussi, d’imaginer que ce n’est pas seulement par bonté maternelle que la reine Marie, ce soir-là, a daigné s’occuper de l’enfant debout derrière sa chaise. Avec le don de divination morale qu’ont souvent les âmes très pures, pourquoi n’aurait-elle pas senti, chez cet enfant, quelque chose d’innocent et de limpide qui le rapprochait d’elle, une pureté d’âme qui, de même que chez elle, résisterait toujours aux déceptions et aux dégoûts de la vie ?


Malheureusement, comme l’avait déjà observé naguère Léopold Mozart, « les hôteliers ne se laissaient point payer avec des baisers ; » et nos voyageurs en étaient toujours à se demander quel bénéfice plus solide allait résulter, pour eux, de leur présentation à la Cour. Ignorant ce qu’ils ne devaient point tarder à apprendre, que, « à la cour de France, tout marchait encore plus en petite poste que dans les autres cours, » ils s’attendaient à recevoir, d’un jour à l’autre, la pile de louis qu’avaient méritée les talens et la gentillesse des enfans prodiges : et cette attente a été, évidemment, l’une des causes de la prolongation, jusqu’au 8 janvier, de leur séjour à Versailles, où leur rôle actif, en somme, se trouvait terminé depuis le Nouvel An. Une seconde cause, sans doute, fut la nécessité où ils se trouvèrent de produire