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n’a pas vu, ce matin, le golfe Saronique ignore ce que peut être un champ de coquelicots. Pourpre joyeuse, comme les larges blessures d’un héros. Plus loin, voilà des nappes d’or. Par masses, c’est le mieux pour jouir des fleurs. Étincellement que la lumière donne aux montagnes, en même temps qu’elle opalise les eaux ! Fraîches coulées d’argent dans le bleu de la mer !

Est-ce de la joie que nous ressentons ? Nous prenons notre équilibre. Les angoisses, les tourmens, les délires ont leur siège dans la nuit ; la lumière les dissipe et nous pacifie. Un chroniqueur grec du moyen âge, pour exprimer son dédain envers l’un de nos chevaliers croisés, dit qu’il était « en tout un homme passionné. » Chez nous, ce pourrait être un compliment ; ici, rien ne semble meilleur qu’un homme qui se possède.

Cette raison pourtant, chez l’Hellène, ne gêne pas l’inconscient et ces beaux imprévus qui nous viennent de notre fantaisie profonde. Depuis que je suis en Grèce, je sens ce qu’a de guindé l’hellénisme parnassien. Leconte de Lisle s’exagère l’éminente dignité du rôle de la volonté dans l’art. Il nous conduit à négliger les beaux trésors qu’un artiste porte dans son cœur. Entre Mégare et Corinthe, aujourd’hui, je déclasse les Poèmes Antiques, Barbares et Tragiques ; je les rangerai dorénavant sur le rayon que préside Boileau. Nul n’est poète s’il n’a des ailes (encore qu’il faille redouter que Pégase s’égare dans les hautes solitudes où lui seul serait son spectateur). C’est un problème de mesure. Et la Grèce a trouvé le point ténu de la perfection. Dans l’azur grec, l’esprit revient toujours sans vertige ni fatigue, comme un puissant oiseau fidèle, se poser sur le promontoire.

Quand nous atteignons Corinthe, il est midi. Les brebis se sont rassemblées sous un arbre. Le chevrier qui dort protège dans ses bras un chevreau. Sur la campagne caillouteuse, rien ne bouge. Un âne met son énorme figure débridée dans les herbes, et de très loin je vois sa queue frétiller de plaisir.

À Corinthe, ce 6 mai, les plus hautes montagnes portent encore de la neige, et la chaleur pèse sur la plaine. Le paysage a perdu cette petite perfection dure qui nous rend muet sur l’Acropole d’Athènes. L’Acro-Corinthe, avec son diadème de ruines, a des airs d’Orient et d’immortalité.

Je gravis la haute, vaste et brûlante Acropole pour visiter la fontaine fabuleuse, encore jaillissante, la fontaine Pirène, source