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quand tu renonçais à chercher l’infini dans l’espace, pour goûter auprès de moi l’infini dans un sentiment.

« Soit ! tu vas t’élever comme une flèche vers le soleil. Mais quel désert autour de toi ! Brûlante colonne de feu qui s’élance pour se consumer ! Tu te satisferas d’orgueil et d’un haut sentiment solitaire de toi-même. Ô mon ingrat ami, si tu comptes sur tes ailes, tu dois cette juste confiance à ma louangeuse amitié, et si tu te crois le foyer, le cœur ailé de l’univers, c’est d’avoir vu mon chaud regard et toutes mes pensées te presser et te circonscrire.

« Dans le milieu du jour, quel sera ton ennui ! Et puis, au coucher du soleil, une angoisse voisine du délire.

« Ô mon cher miracle, je t’aime et tu m’émerveilles autant que le premier jour, quand je te surpris au bord de la source et que j’osai te retenir. Mais seras-tu donc éternellement étonné de toi-même ? Est-il excessif d’attendre que tu t’habitues à la grande ombre de tes ailes éployées ?

« Apprends à te connaître. L’air que tes jeunes naseaux aspirent, quand tu l’expires, devient un nuage de poésie, et toi, d’un coup d’aile, tu veux rejoindre et dépasser ce mirage que tu viens de créer. Où veux-tu courir ? Hors de toutes limites ? C’est courir au délire. Tu cherches ton propre songe. Tu veux, dis-tu, toujours plus d’azur. Il n’y a pas d’azur, il n’y a que notre amitié.

« Je sais qu’ayant admis de naviguer dans les hautes solitudes du ciel, tu comprimeras avec peine les vagues pressentimens qui te gonflent le cœur ? Pourtant, une amitié profonde a des mystères. Dans la nôtre tu trouverais du douloureux, de l’inconnu, de l’insaisissable, tout un grand ciel plein de nuées. Cher compagnon, demeure sur nos sommets à bondir de ta folie vive en ta folie triste et à cultiver en toi le sentiment de l’exil. Notre rencontre est un prodige. Comment lui préférer, crois-tu, le sec isolement d’où notre sympathie t’a tiré ! Tu veux être, la nuit, une étoile dans les cieux ? Mais que feras-tu d’épuiser ta divinité là-haut, si tu ne peux pas me la voir admirer ? »


Cependant, le cheval ailé hennissait et fumait de jeunesse, d’impatience et de génie.